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Serge Jadot, écrivain essayiste

Pour tous les chercheurs qui errent entre le crépuscule et l’aube,
cet humble partage d’expériences vécues,
travail d’auto-entomologie d’une fourmi qui se prenait pour une luciole.

Table des matières

  1. Hôdo, la voie vers les étoiles?
    1. Il était une fois…
    2. L’appel des étoiles
    3. Le plus haut laboratoire
    4. De la Cordillère à l’Amazonie
    5. La fin d’un voyage
  2. L’autre voyage
    1. Le vertige de la vitesse
    2. Ratés d’embrayage
    3. Scout, toujours…!
    4. Judoka… aïkidoka
    5. La recherche des profondeurs
    6. INTP
    7. Être soi et aller de l’avant
    8. Citoyen du Monde
  3. Hôdo, la légende
  4. The end!
    1. De la mer tumultueuse au tsunami
    2. Au fait, vous avez dit…?
    3. La couronne de ne rit plus
    4. À tous mes amis

Hôdo, la voie vers les étoiles?

Le temps a passé sur mes écrits, et je n’avais ni le loisir ni le goût de regarder derrière moi. Mais, je me suis rendu compte que mes romans qui étaient censés porter un message humaniste, formalisé dans la Charte de Hôdo, n’avaient eu que très peu d’écho. Je me suis aussi rendu compte que j’avais été parfois plus hermétique que je le voulais. Je n’avais pas réalisé qu’en utilisant la SF en guise de fables de la Fontaine, je m’adresserais à un public amateur de SF ne s’intéressant pas nécessairement à lire entre les lignes, découvrir le dessous des cartes et recueillir les messages qui s’y glissaient. Et d’autres parts surtout dans le public français, la SF étant un genre mineur, voire moins, n’attiraient pas ceux qui osent se questionner sur des projets et des idées qui se développent dans des essais. Pourtant, je refuse de poser un genou à terre, et je crois que mon utopie a une richesse, même minime, à apporter à l’évolution de l’humanité, dans les traces de Laborit et d’autres chercheurs dans le domaine de l’«intelligence» et de la compréhension scientifique de la pensée humaine.

Ma saga contient beaucoup de messages à tiroirs à la fois parce que j’ai un penchant pour les clins d’œil, mais aussi pour brouiller les cartes, car toutes les situations se basent sur des faits réels, mais retravaillés pour créer les scénarios. Quant aux personnages, ils sont des assemblages, des chimères, des Frankenstein, fabriqués à partir d’éléments inspirés d’amis, de proches ou de personnages célèbres. Ils ont le nom d’un tel, le prénom d’un autre, des traits de caractère piqués par-ci par-là, et tous ont une parcelle de ma vie, car ce sont mes créatures. C’est le cas de Makuta Chibwabwa, l’un de mes héros, astronome à bord du Livingstone, qui parlera en mon nom en écrivant dans son journal personnel:

Je ne me souviens pas quand les étoiles ont attiré mon regard.

...

Chibwabwa est lui-même un jeu de mots, une déformation de Tshibwabwa en souvenir de compagnons de classe. Il en est de même pour le prénom Makuta que j’ai choisi finalement comme symbole de ce qui est petit, car mon Makuta (Likuta au singulier en réalité, mais là encore une distorsion volontaire...) devait incarner un personnage discret, voire timide, puisqu’il était ma propre image psychique en citant les deux axes majeurs de ma pensée, ceux qui donnèrent naissance à la saga de Hôdo.

Souvent, le nom de mes personnages évoquait d’anciens camarades et des amis. Parfois, je piquais des noms de prix Nobel correspondant à l’âme de celui que je faisais un messager. Je «piquais», car presque toujours, je choisissais le nom, le prénom, l’apparence et la culture au hasard pour être universel et essayer de n’oublier aucune population qui enrichit notre monde. Évidemment, j’avais une prédilection pour ce que je connaissais le mieux pour mes «héros», car cela m’était plus facile à dépeindre finement. Si je suis peu ou prou derrière presque tous mes personnages, tel un marionnettiste, je ne vais malgré tout pas tomber dans l’autobiographie.

Une «autobiographie», comme celle-ci, d’ailleurs, pour quoi faire? Pour mieux «vendre» mes romans... je doute qu’une goutte ajoutée à une autre ne change la moindre vaguelette de l’Océan. Alors pour mieux vendre mes «idées» politiques? Pourquoi pas? L’utopie permet de rêver longtemps, tant qu’Icare ne sombre pas. Peut-être aussi, tout simplement pour annoter mes observations de sempiternel curieux qui observait la nature, et parmi elles, l’être qu’elle avait le plus souvent sous la main. Ce n’était pas que de la pure introspection contemplative, j’ai toujours été fasciné par les mécanismes de la pensée, et la mienne, elle m’a accompagné tout au long de ma vie. Peut-être que quelqu’un les lirait et en tirerait profit… Ainsi va la chaîne de l’évolution, cet autre infini. Tout compte fait, je suis conscient que ce n’est qu’une bouteille à la mer. Une si petite bouteille.

De plus, je ne veux pas justifier quoi que ce soit: ce n’est pas mon tempérament, ce n’est pas l’attitude d’un chercheur, et j’assume ce que je fus, ce que j’ai hérité, ce que j’ai vécu et choisi, sans fierté, sans honte, car c’est la vie qui m’a façonné et je lui ai répondu en être doté d’une intelligence dont la liberté de choix est sûrement si bridée que je n’ai même pas de quoi m’enorgueillir. S’il faut extraire de cet écrit quelque chose «d’autobiographique», c’est peut-être ça, le véritable message que je veux laisser derrière moi, celui d’un entomologiste qui regarde à la loupe le seul être, le seul hominidé qu’il croit connaître peut-être un peu mieux que ses congénères, plutôt qu’un historien qui croit se souvenir de son vécu qui serait miraculeusement dépouillé des enjolivements que génère le cerveau dans les souvenirs effacés par le temps et débarrassés des déformations engendrées par les visières émotionnelles de l’instant. En tout cas, ce n’est pas un recueil de souvenirs, qui serait d’ailleurs alors bien incomplet, mais plus précisément une cueillette d’événements qui, je le pense, ont contribué à enrichir mes réactions à la vie et la rédaction de ma saga, et que j’expose ici pour éclairer la voie vers, «Hôdo, la légende», le Paradis que l’on devrait pouvoir créer sur Terre.

Il était une fois…

Je suis né à Uccle, une commune de Bruxelles. D’après mes parents, mon berceau était à l’avenue de l’Observatoire à Uccle. Est-ce pour cette raison que j’ai été attiré par l’espace, l’univers et sa compréhension? Sûrement pas! Mais le hasard est parfois si amusant qu’il mérite d’être cité en anecdote.

À ma naissance, mes parents décidèrent de migrer. Ma mère, elle, avait l’intention de fuir son milieu familial dont elle me parla si peu que je ne le connais presque pas. Je crois qu’elle est l’enfant unique d’un petit paysan dont la femme fut atteinte de la maladie de Parkinson. Ma grand-mère maternelle avait aussi une caractéristique dont j’ai peut-être hérité: une sorte d’hyperacousie. En effet, il paraît qu’elle entendait avant tout le monde l’arrivée des V2 pendant la Deuxième Guerre mondiale. Si ma mère parlait peu de sa famille, elle évoqua plus souvent des souvenirs de la guerre, les parachutistes ou les Juifs que les paysans protégeaient chez eux. Elle me raconta des anecdotes, et parmi celles qui la laissèrent perplexe, le lynchage du maire du village accusé d’être «rexiste». Pourtant, me dit-elle, c’était lui qui prévenait les paysans des contrôles de la Gestapo, ce qui leur permettait de déplacer leurs «protégés» pour les mettre à l’abri dans d’autres fermes. Elle s’étonnait aussi de l’idolâtrie pro-américaine qui envahissait la France, car pour elle, ces sauveurs faisaient plus de dégâts que de bien.

Ajouté à son mal être familial, il y avait aussi le fait d’être rejetée par la famille de mon père. Aussi son rêve fut de partir loin, le plus loin possible. Voilà, donc, l’une des raisons de donner l’envie de migrer, ailleurs, loin de chez soi. Elle avait rêvé de migrer au Canada, mais le Congo (RDC) offrait des postes d’assistance technique plus adaptés aux compétences en photographie de mon père qui fut embauché pour le ministère de l’Intérieur. Au bout de quelques années, il quitta cette fonction et s’installa à son compte à Élisabethville (Lubumbashi). C’est là-bas que j’ai vécu mon enfance et mon adolescence, sans jamais rentrer, ne fût-ce qu’une seule journée, en Europe, sauf pendant une brève période de guerre de sécession dont je parlerai le moment venu. Cela fut pour moi l’occasion de découvrir ma terre natale, une «patrie» dans laquelle je ne me reconnaissais pas. Jusqu’alors, la neige et les quatre saisons n’avaient aucune signification pour moi qui grelottait dès que la température descendait sous 21°C et qui ne connaissait que l’alternance des saisons sèches et des pluies.

J’ai su ainsi ce que c’était d’idéaliser la terre natale de ses parents, et sur ce point, je comprends tous les descendants des premières générations de tous les migrants de la planète et de toute l’Histoire de l’humanité. On leur a tant ressassé un paradis perdu qu’ils se sentent souvent écartelés entre une réalité et un rêve, jusqu’au jour où ils découvrent que le rêve n’est pas, n’est plus, et qu’il y a deux réalités, et qu’il faut choisir l’une pour vivre sans pour autant nier les racines de l’autre.

Le rêve de mon père et son art était la peinture. C'était un portraitiste et un paysagiste très précis. Mais il n’émergea pas. Et comme il fallait faire bouillir la marmite, il vivait de la photographie, son métier, dans lequel il excellait. Ce fut son activité principale jusqu’au jour où son ophtalmologue lui conseilla fortement de s’orienter vers autre chose s’il ne voulait pas perdre la vue, car il souffrait d'un glaucome aux deux yeux qui allait en s'aggravant. Il devint donc gérant de cinéma, un cinéma qui eut ses aventures aussi. Ce dernier servit de refuge pour un régiment de l’armée belge «oublié» par le gouvernement le jour de l’indépendance, puis plus tard fut une base de repli au centre-ville et une cantine de l’ONU lors de la guerre du Katanga (Shaba).

C’est pendant cette période de troubles, que mes parents me mirent à «l’abri», et c’est ainsi que je découvris et la Belgique et la guerre vue de dehors. Cette dernière vision affichait, en quelques minutes sur un petit écran de télévision, les scènes les plus émouvantes capturées sur des milliers de kilomètres carrés. Et encore, il s’agissait uniquement des zones où les reporters se trouvaient relativement à l’abri. Cette vision du monde m’avait définitivement marqué, car j’en connaissais des éléments vus de l’intérieur et les deux visions ne correspondaient pas. Il fallait ajouter à cela l’art que me transmettait mon père de lire les images, ce qu’elles montraient, ce qu’elles disaient, ce qu’elles voulaient faire voir et ce qu’elles avaient oublié de cacher. Très tôt, j’appris à douter de l’image en tant que média d’information intègre et neutre. Plus tard, je me mis même à la redouter, car le fameux «Donnez-moi deux lignes de la main d’un homme, et j’y trouverai de quoi suffire à sa condamnation» de Richelieu pouvait aussi s’appliquer à l’image.

L’appel des étoiles

Ma mère était une infatigable travailleuse qui cumulait parfois plusieurs métiers: la journée, elle était tailleuse et le soir caissière de cinéma. Elle ne connaissait pas de jours de repos, encore moins de vacances, et la retraite pour elle n’avait pas de sens. Pour ne pas subir une telle vie, elle avait souhaité que je sois médecin, mais à l’époque voir une goutte de sang m’écœurait. Voyant par contre que j’avais un certain don pour le calcul et que les étoiles me fascinaient, elle pensait que je deviendrais un astronome.

J’ai connu l’époque de Spoutnik… et si les étoiles me fascinaient, curieusement, la matière inerte aussi, comme les pierres que je collectionnais. Pour moi, la meilleure «astronomie» était de poser le pied sur ces astres lointains. En fait, l’astronautique m’attirait bien plus que l’astronomie… L’aventure humaine pour se poser sur la Lune me passionnait.

Mais, il y avait un mais. Comment les fusées iraient-elles plus loin que la Lune, loin là-bas vers les étoiles? Cette question tout doucement me préparait à un choix imprévisible pour l’adolescent que j’étais, mais avant, j’essayais de tracer ma route vers ce rêve. Je me documentais sur tout ce qui était astronautique, sur l’entraînement des astronautes, même sur leur taille minimum, car je ne suis pas grand. Gus Grissom fut longtemps mon héros «modèle», car lui en plus n’aimait pas l’eau, comme moi. C’est le feu, qui finalement l’emporta.

Je me renseignai sur tout ce qui concernait l’astronautique et je me rendais donc souvent dans les centres culturels américains (implicitement, toujours du nord, à cette époque). J’avais fini même par obtenir une bourse universitaire pour étudier aux États-Unis. Immanquablement, ma curiosité me conduisit à découvrir aussi la vie et la politique de ce pays et peu à peu s’installa en moi une sorte de doute, voire de rejet. J’imagine que c’était dû à l’éducation de mon père, celle de toujours voir derrière ce qui était présenté ce que l’on devait voir ou ne pas voir. Je finis par renoncer à cette bourse.

En même temps, je ne voulais pas faire comme tous mes compagnons d’école belges, aller étudier en Belgique. Je ne m’y sentais pas «chez moi» et les luttes linguistiques qui y couvaient m’attristaient profondément. Mon père connaissait un consul de France et je ne sais ni comment ni pourquoi, il avait dû parler de mes «rêves». Ainsi, un jour, il me dit: «Il paraît qu’il y a dans une ville française une université flambant neuve pour les jeux olympiques, et d’après le consul, cela vaudrait la peine d’y étudier.» Et c’est ainsi que ma famille prit pour la première fois des vacances, tous les quatre, eux, ma sœur et moi, de surcroît, hors du Congo, car mes parents n’avaient pas quitté le pays depuis leur arrivée quelque dix-huit ans plus tôt. Dire qu’après ça, pour beaucoup de Français, j’étais «fils de colonisateur» donc roulant sur l’or… Le fils d’un simple artiste peintre, photographe, gérant de cinéma et d’une mère tailleuse et couturière souffrait de ce jugement à l’emporte-pièce. Mes parents n’avaient pas démérité à mes yeux et je n’étais pas un pestiféré. Plus tard, même j’ai fini par utiliser le terme «migrant en Afrique» à la place de «colon». En effet, n’était-ce pas la réalité?

Le premier contact que j’eus à Grenoble fut celui d’une logeuse qui doubla le prix du loyer quand elle sût que je venais du Congo. Un jour, elle me demanda, comment on était habillé au Congo? J’étais tellement agacé par ces questions stupides que je lui répondis: «Comme tout le monde, madame, tout nu!». Je souffrais tellement de solitude que je m’enfermais parfois dans le placard pour ne plus voir ce monde que je finissais par haïr. Heureusement, un jour une assistante sociale m’écouta malgré mes «origines» et m’envoya au BAPU (Bureau d’Aide Psychologique Universitaire). Cela aussi m’a gravé un peu plus dans mon âme l’intérêt de la psychologie, mais aussi, commençait à s’installer en moi un sentiment diffus d’injustice.

Par la suite, le problème du logement fut une épreuve, année après année. Non seulement je ne voulais pas être une charge pour mes parents, mais en plus je sentais que ceux-ci avaient des difficultés financières qu’ils ne me confiaient pas. Je me sentais obligé de rendement vis-à-vis de mes parents qui m’envoyaient une mensualité, inférieure à mes besoins, chose que jamais je ne leur avouai. Il n’était pas rare que je me nourrisse «au rab» dans les restos pour étudiants qui n’effectuaient pas trop de contrôle et j’essayais divers petits travaux compatibles avec mes études. Cela devait en partie les affecter, sans compter que la prise de notes m’était particulièrement difficile, surtout en amphithéâtre où j’avais toujours peur de rater une brique de connaissance essentielle. J’ignorais à l’époque que j’avais une mauvaise audition.

Les meilleures notes que j’ai eues aux examens, c’est quand je pensais que tout était perdu, car alors je n’avais plus d’anxiété. Cette anxiété me hantait tout le temps. Lorsque les événements de mai 68 ont éclaté, j'ai eu la satisfaction de pouvoir consacrer plus de temps à ma première année d'université sans stress. En fait, 1968 n’était, au départ, simplement un événement politique pour moi. Et de toute façon, étant étranger, je n’avais pas besoin de manifester.

Ainsi donc, mes études ne furent pas particulièrement glorieuses. En plus, elles furent émaillées d’événements politiques qui m’immergeaient tout doucement dans ce monde «d’adultes» que je découvrais. Les années qui suivirent furent les suites des utopies de 68 que les jeunes et aussi les enseignants essayaient de mettre en place dans un univers qui était devenu chaotique. C’est par exemple grâce à ces tentatives de modernisation que j’eus droit à un cours d’informatique dans le cursus de physique, chose qui allait sans que je le sache complètement orienter ma vie par la suite.

De ces événements je retiendrai mes amitiés mitigées avec les maoïstes. Je partageais beaucoup de leurs idées, mais ils m’énervaient parfois et je leur disais: «d’accord! ça, c’est ce qui est écrit dans le petit livre rouge, mais ce qui y est écrit est valable pour la Chine. Et vous, que dites-vous?» J’ai toujours eu quelques difficultés avec les «catéchismes», quels qu’ils soient. Certes, je me sentais aussi proche des maoïstes, car j’étais contre la guerre du Vietnam et ses horreurs. Et tout cela me rappelait curieusement ce que j’avais découvert entre les lignes d’histoire au Congo. Même le premier pas de l’homme sur la Lune, un domaine qui me passionnait, fut entaché par le drapeau des É.-U. planté sur le sol lunaire. Était-ce une compétition comme sur l’Himalaya où chaque pays plantait son drapeau ou était-ce une marque de possession d’un Nouveau Monde?

Entre-temps, je découvrais vraiment la physique. C’est incroyable comme on peut s’engouffrer dans une voie en ignorant complètement ce qu’il y a dedans. Dès lors, j’ai toujours eu des doutes quant à l’«orientation» professionnelle ou universitaire. Comment peut-on choisir parmi ce qu’on ne connaît pas?

Heureusement pour moi, la physique me montrait de nouvelles voies insoupçonnées qui m’intriguaient et donc me passionnaient à tel point que je m’orientai résolument vers la physique des particules. C’était à mille lieues des étoiles? Non, pour moi, c’était les briques de l’Univers. En même temps, l’astronautique me semblait de moins en moins être la voie pour accéder aux étoiles.

Comme je n’avais pas beaucoup d’argent pour acheter des livres, je découvris la collection MIR éditée en URSS. Et l’idée me vint alors d’étudier le russe. Hélas, je ne suis guère allé plus loin que l’apprentissage de l’alphabet cyrillique, car je n’avais pas le temps de m’y investir.

L’étranger me fascinait souvent, sans doute parce que je me sentais chez moi à la fois partout et nulle part, et qu’il s’installe une sorte de solidarité entre étrangers. Parmi tous les étudiants que je côtoyais, les amis français ne devaient se compter que sur une main. La grande majorité était latino-américaine ou ibérique. C’est d’ailleurs lors de ces réunions et fêtes qu’ils organisaient que je rencontrai Bernadette, celle qui devint mon épouse et qui me suivit courageusement dans toutes mes pérégrinations.

Au cours de mes études, j’eus deux enseignants qui m’influencèrent définitivement: Albert Lacaze et Jacques Valentin. Le premier fut pour moi le meilleur pédagogue que j’eus en cours magistral et je m’inspirai de sa méthode qui était de faire découvrir dans son livre à l’avance ce qu’il allait nous enseigner de telle manière que non seulement nous n’avions pas besoin de polycopiés ni de prises de notes illisibles, mais en même temps nous arrivions avec des questions plus pertinentes auxquelles il répondait avec une passion entraînante. Quant au second, il fut celui qui me mit le pied à l’étrier, car j’étais toujours quelqu’un de timide et d’angoissé aux études quelque peu chaotiques, et il me fit confiance.

Déjà à l’époque, ce dernier nous disait (je cite de mémoire): «il n’y a pas beaucoup de place pour les physiciens. La pyramide dans la recherche est très étalée, et il vous faudra attendre très longtemps pour obtenir un poste de chercheur. Le monde est à l’envers, quand enfin vous aurez un salaire décent, vous aurez l’âge de vous contenter d’une tranche de jambon. Alors, suivez mon conseil tant qu’il est encore temps: faites-vous ingénieurs ou partez tenter votre chance ailleurs.»

Il se battait pour que l’industrie reconnaisse les mérites des universitaires, car, voilà bien une spécificité française que je n’ai rencontrée nulle part ailleurs, que je revérifiai, hélas, plus tard, l’Université est quasiment méprisée. Hors des grandes écoles, point de salut! Il s’amusait à argumenter (je cite toujours de mémoire): «vous savez, nos physiciens n’ont pas appris à vous dire quel sera le devis d’un projet, mais ils pourront vous dire quelle maintenance est la moins chère, car, nous, voyez-vous, en recherche on n’a pas d’argent, donc on apprend à économiser.»

Il m’avait communiqué la fierté d’être physicien: «c’est un géant, car même s’il a la tête dans les nuages comme un matheux, il a les pieds dans la boue comme un ingé».

Parmi les deux options de carrière que nous avait proposées ce mentor en physique nucléaire, je choisis de partir. N’étais-je pas déjà un pigeon voyageur, sans véritables attaches, un éternel «Pionnier», titre qui fut à l’origine du premier volume de la saga que je créai.

Je partis en Bolivie pour plusieurs raisons: l’une d’elles étant que le service militaire belge considérait comme équivalent à de la coopération un travail effectué dans certains domaines et pays agréés par l’État d’une durée effective de deux ans minimum réalisé en un maximum de trois années consécutives. Par la suite, j’ai toujours été convaincu que c’était le meilleur système de coopération. Personne en métropole ne réalise que le salaire d’un instit est supérieur à celui d’un ministre (façon de parler) dans un pays dit en voie de développement! Alors, comment voulez-vous que la majorité des gens envoyés pour aider le pays en question s’intéresse au peuple, pas nécessairement celui des pauvres, mais même la masse moyenne d’une population, lorsqu’ils font partie du mobilier des ambassadeurs et des grosses légumes du pays d’accueil? Ils pourraient prendre la place d’une bonne demi-douzaine de chômeurs ayant les mêmes compétences.

Le plus haut laboratoire

Quand j’arrivai en Bolivie, je fus très bien accueilli par tout le monde. Le chef département de rayons cosmiques me proposa plusieurs équipes que je pouvais intégrer. Mon choix se porta sur le BASJE (Bolivian Air Shower Joint Experiment). Je pense que ce fut la plus merveilleuse de toutes mes expériences professionnelles.

J’étais chercheur adjoint et assistant de TP en physique nucléaire, surtout en radioprotection. Ma femme, Bernadette, aussi fut prof à l’université Mayor de San Andres, où je me souviens qu’elle enseignait entre autres Jean-Paul Sartre en pleine dictature de Hugo Banzer. Une dictature qui avait laissé de nombreuses traces. Je découvris ainsi que mon assistant était un survivant d’une révolution: il avait reçu 18 balles dans le corps.

Le BASJE était piloté par une équipe de chercheurs japonais. L’un d’eux, le Pr Kaneko Tatsunosuke, était mon patron de recherche. Il était le premier Japonais que je connus, et, en plus de la physique des rayons cosmiques, il me fit découvrir son peuple et sa culture, et surtout, ce qui m’a profondément marqué en début de carrière, cette honnêteté, cette loyauté, cette humilité et, aussi, cette mise en confiance en moi-même malgré ma timidité et mes doutes.

Notre laboratoire était le plus haut du monde, à 5200 m. Ce choix était stratégique, car nous y étudions les grandes avalanches cosmiques là où statistiquement, le nombre de particules créées par l’entrée d’une particule cosmique dans l’atmosphère était le plus grand.

Je pensais passer une thèse de doctorat dans mon équipe, et le sujet était tout à fait dans mes «cordes». En effet, pour moi, les grands progrès à venir seraient réalisés grâce à une meilleure compréhension à la fois de la notion des «dimensions» de l’espace au sens large du terme et des phénomènes qui prennent naissance au niveau des particules dites élémentaires. À l’époque, je pensais que l’espace était composé de briques quantiques d’au moins 5 dimensions, mais probablement de 7. Je partageais l’idée des partons. Et si j’avais connu la théorie des cordes, voire des supercordes, j’y aurais tout de suite adhéré.

En parallèle, pour remplir mon contrat de «coopération bénévole», je m’étais associé à l’équipe de chercheurs en énergie solaire. Il faut dire que les Andes sont aussi un lieu extraordinaire pour profiter de ce don du ciel. Et quand je pense aux inventions des Latino-Américains dans leur ensemble, à l’époque, c’est-à-dire dans les années 1970, je trouve qu’elles étaient souvent précurseurs des arrogantes sociétés dites évoluées ou industrialisées et de leurs prétendus "sages écolos". D’ailleurs, en règle générale, j’ai toujours admiré l’esprit latino-américain, inventif et audacieux, tout en étant modeste dans ses victoires, sauf en football.

Dans notre recherche au sein du BASJE, il fallait parfois faire appel à des informaticiens pour corriger et affiner notre programme d’évaluation des avalanches cosmiques. Or la Bolivie manquait cruellement de ces spécialistes. Comme je l’avais dit, les années 68 furent à l’origine de nombreux essais de pédagogie moderne. J’appris ainsi dans le cursus de MP (math-physique) l’Algol 60, un langage de programmation franco-français, dont j’étais fier, mais qu’aucun Français d’aujourd’hui ne semble connaître l’existence. Le langage informatique est aujourd’hui anglais comme le fut le latin de messe.

Grâce à cela, sans le savoir, je mettais une seconde corde à mon arc.

De la Cordillère à l’Amazonie

Kallawaya Nous nous étions bien intégrés dans la communauté de La Paz. Nous avions des amis de toutes les classes sociales et de toutes origines, espagnoles, métisses, amérindiennes, car nous n’étions pas coopérants et notre salaire était celui du pays. Nous étions ainsi des leurs, non des étrangers qui repartaient après leur service, les bagages pleins de souvenirs, mais le cœur vide. Nous avions appris l’espagnol sur le tas en utilisant une technique que m’avait enseignée dans le secondaire mon prof de gym: l’immersion totale en coupant, pendant trois mois, tous les contacts avec les francophones. Ainsi, l’espagnol que je n’avais jamais étudié devint ma première langue que je conservai jusqu’au moment d’écrire ces lignes soit plus de 40 ans après. Et comme nous avions des amis amérindiens, Bernadette et moi nous nous partagions la tâche d’apprendre leurs langues: elle le quechua et moi l’aymara. Nous avions même des amis Kallawayas, les fameux «sorciers» herboristes des Andes. Là par contre nous n’avons pu aller aussi loin dans l’apprentissage.

En voulant apprendre l’espagnol sur le tas, j’eus la merveilleuse chance d’être accueilli par une famille bolivienne, les Pacheco. Je cite leurs noms, car je leur suis infiniment reconnaissant. Non seulement ils m’ont soutenu dans mes épreuves d’adaptation pendant cette période, mais ils furent aussi présents quand nous perdîmes notre premier enfant. Ils étaient là quand j’eus même la «tourista» et que je persistais à ne pas demander de l’aide aux francophones pour me forcer à dominer l’espagnol.

Hélas, la malchance s’acharna sur notre couple. Nous perdîmes un deuxième enfant, une petite fille que les sœurs religieuses baptisèrent Maria. Je vis l’enfant mourir. Ce fut la première fois que je vis un être rendre l’âme. Cette image fut très longtemps douloureusement gravée en moi.

Suivant le conseil des médecins, nous décidâmes de quitter l’altitude bolivienne, et suivant celui de mes collègues, nous partîmes pour Santa Cruz de la Sierra. Là, au départ, je commençai à travailler comme professeur de physique et même de mathématiques et de physique pour biologiste (la partie purement physicienne de la biophysique). Mais il n’y avait pas de recherche en physique dans cette région. Aussi, dans un premier temps, je demandai au Centre de Calculs de l’Université de pouvoir développer mes modèles mathématiques pour ma théorie. Rapidement, les collègues de ce Centre me demandèrent de rejoindre leur équipe, car ils n’étaient pas assez nombreux. Et là, je plongeai franchement dans l’informatique.

J’avais côtoyé des collègues japonais à La Paz et j’ignorais qu’en débarquant à Santa Cruz de la Sierra, j’en côtoierais bien plus. En effet, de nombreux Japonais d’Okinawa étaient venus s’y établir. Avec eux, j’appris à découvrir leur culture, et l’un d’eux devint même le parrain du premier enfant qui survécut. Le père de ce jeune Japonais avait été instituteur, et avec lui, je commençai mes premiers pas dans l’apprentissage des kanji.

La Bolivie n’était vraiment pas un lieu de repos. Ainsi, j’appris que des étudiants de l’université de Santa Cruz avaient été mitraillés à travers le plancher d’une salle où ils étaient faits comme des rats. Et l’un des survivants considéré mort et sauvé in extremis d’un charnier serait venu témoigner de cette période. Il était temps pour notre famille de nous éclipser. En effet, selon les échos que je récupérais à gauche et à droite (au sens politique comme au sens imagé), la situation serait devenue dangereuse pour nous. Car je savais à partir des «mes sources» que les révoltes seraient violentes et violemment réprimées, et que ma famille risquait d’être en danger. Pourtant, l’amitié, combien de fois l’avais-je rencontrée là-bas? Quitter la Bolivie était pour moi un morceau de ma vie qui mourrait et qui transparaîtra plus tard dans mes romans, avec maints clins d’œil quant aux noms et aux comportements de mes héros. Si la Belgique était mon berceau, le Congo, ma jeunesse, la Bolivie a été mes premiers pas d’adulte. Être migrant, je connais et je me souviendrai toujours de ce que disait l’un de mes collègues boliviens d’origines espagnoles: je suis deux fois plus Bolivien que le natif, car moi, je l’ai choisi. C’était une chose que j’avais envisagée avant les troubles qui frappèrent ce pays, troubles, comme je le compris, pour la nième fois, provoqués par le grand voisin du Nord.

Je quittai la Bolivie, riche d’expériences humaines.

La fin d’un voyage

Pour Bernadette, c’était un retour à la maison. Pour moi, c’était un autre univers à explorer.

Il fallait que je me refasse une vie. Et c’était urgent. Le peu d’économie que j’avais fait en Bolivie fondait à une vitesse incroyable. Je n’avais évidemment aucune aide, car, le passé de mes parents et mes activités en Bolivie faisaient croire aux assistants sociaux que j’étais Crésus, probablement même un pilleur de richesses étrangères. C’était à ce point, que je devais payer le maximum à la Sécurité sociale pour protéger Bernadette et Raphaël. Heureusement, non seulement me battre ne me faisait pas peur, mais cela me stimulait.

Je commençai à parcourir la France en train, RER et métro pour chercher du travail. Heureusement, pendant que je cherchais un poste, ma belle famille nous hébergeait.

Ayant une formation de physicien, je commençai par là. J’étais fier de voir que mon nom était connu, car cité dans les revues de recherche sur les rayons cosmiques. Déjà, un chercheur n’a pas un salaire mirobolant, mais en plus, mon «trou» de Santa Cruz dans mon CV me handicapait et m’obligeait pratiquement à repartir de zéro. Je ne pouvais pas me le permettre avec une famille à charge.

Alors, je décidai de jouer sur ma deuxième corde. Or, à cette époque, il manquait cruellement d’informaticiens, et donc on choisissait tous ceux qui avaient un peu d’expérience et un profil plutôt scientifique.

Combien de rendez-vous ai-je eus? Combien de déceptions, parfois d’amertume! Finalement, après avoir réussi haut la main un test, une société de services informatiques se proposa de me recruter. Mais simultanément, une entreprise me fixa un rendez-vous, et celui qui sera mon futur chef me posa une «colle». Satisfait de ma réponse, il décida de m’engager sur le champ. Je crois qu’avec lui ce fut ma plus belle période d’informaticien en France.

Mon parcours informatique a été des plus variés. J'ai commencé à La Paz en tant que mathématicien pour mesurer les rayons cosmiques, puis pour aider mes collègues physiciens. Mes premiers programmes étaient écrits sur cartes perforées et mon premier ordinateur de bureau fut une Wang.

À Santa Cruz, j'ai créé une base de données à fichier plat, car, à l'époque, les célèbres bases de données connues aujourd'hui n'en étaient qu'à leur naissance. Cette base de données permettait de gérer divers aspects, tels que les étudiants, le corps enseignant, les locaux, les salaires et les impôts.

Au cours de ma carrière professionnelle en France, j'ai changé environ tous les cinq ans d'entreprise : Sintra, Cimsa, Alcatel, CS, Airbus, EADS. La plupart de ces changements étaient dus à des rachats ou des fusions. Je n'ai donné ma démission qu'une seule fois durant cette longue carrière.

Mon premier projet consistait à concevoir la première tête de visu pour hélicoptère en balayage TV, et non plus en balayage osciloscopios. Cette nouvelle technologie fut ensuite appliquée aux affichages de radars. Cela m’a poussé à essayer de créer des circuitos impresos en orientados a objetos. En même temps, je suis devenu un expert du système UNIX, puis un spécialiste OEM chez IBM. J'ai même été membre de l’équipe de traducteurs francophones de Mozilla à ses débuts. Et j'ai fini comme service owner PDM après avoir été pendant plusieurs années administrateur informatique.

L’autre voyage

Si mon CV fut une longue route en zigzag, c’était aussi, et surtout, mais à mon insu, parce que j’effectuais un autre voyage.

Je me compare souvent à Spock et Indiana Jones. L’aventure vers des horizons inconnus m’a tant fasciné que chaque fois que l’opportunité se présentait, je partais à leur découverte. Même l’écriture de mes romans est le résultat d’une gageure, une aventure.

L’Indiana Jones m’a fait parcourir ce monde si merveilleux dont je ne connais pratiquement rien par rapport à son immensité et pourtant le peu que j’en ai vécu ou aperçu fut si merveilleux.

Je dis souvent que je suis belge de sève, congolais d’éducation, français de culture et de savoir, et enfin, adulte en Bolivie, avec entre autres l’inestimable aide de mes tuteurs et amis japonais. Je suis l’âme des «Pionniers de Hôdo».

L’apport des Japonais, inestimable! Ne serait-ce pas exagéré?

Non! ma timidité et mon manque de confiance en moi ont été un tel boulet que tous ceux qui ont eu ces entraves comprendront. Et c’est à eux que je m’adresse principalement en contant cette autre quête, pour ceux qui sont «timides», maladroits, et n’ont pas confiance en eux. Pour qu’ils osent en s’inspirant ce que j’aurais réussi à traverser.

Et pour les autres, voici un parcours de chemin qui peut aussi les inspirer. Mais il n’y aura pas de voyeurisme, car je serai silencieux au moins par respect de la vie privée de mes proches, mes amis, mes mentors, mes compagnons de route ou de labeur et même mes éventuels ennemis. Ne pas étaler l’intimité de quiconque fait partie de l’un des principes du projet que je développe, car chacun a droit à son refuge psychique autant que son abri. On est choqué si l’on ouvre les portes à tout vent d’un abri, il devrait en être de même pour le «jardin secret» de la psyché.

D’ailleurs, quant à mes souvenirs, inutile de recourir à ce genre « d’attraction », tant c’est incroyable ceux qui remontent à la surface en rédigeant cette histoire que je voulais brève. Creuser dans sa mémoire est peut-être aussi utile, quand on a l’habitude de s’efforcer de regarder toujours vers le futur qui s’enfonce au-delà de toute imagination. Mais il faut se méfier de l’imagination qui bouche les trous en les remplissant de souvenirs réécrits. Des souvenirs parfois mis en évidence par un éclairage héroïque, ou refoulés sous une brume opaque pour cacher tel ou tel échec, telle ou telle souffrance mal cicatrisée. Ainsi sont notre cerveau et «sa» vérité

Le physicien, surtout en mécanique quantique, sait combien l’observateur peut perturber l’expérience. Que dire alors quand l’observé est l’observateur?

Le vertige de la vitesse

Était-ce vraiment de timidité que je souffrais? En fait, souvent. Je me sentais pressé par mes parents et les enseignants de réagir comme pour le calcul: «vite et bien». Cela me semblait souvent incompatible… Et plus c’était pressé, plus cela me tétanisait.

Pire! Dans beaucoup d’activités, j’avais tendance à m’emballer et à ne plus savoir ralentir et freiner. Tout cela me rendait «timide» par peur de ne pas pouvoir répondre «vite et bien» à toute situation stressante. Mais cela développa en moi une capacité qui me rendit bien des services: celle de lire les visages et les non-dits. C’était purement instinctif. Je ne pourrais pas l’expliquer de manière rigoureuse.

Ce n’est qu’à plus de 60 ans, découvrant par hasard dans les activités proposées par le comité d’entreprise d’EADS (European Aeronautic Defence and Space), le tai-chi-chuan. Ces exercices, à base d’enchaînement lent, semblaient enfin correspondre à mon sens intime de la vitesse, en apprenant la notion du «lâcher prise».

Prendre du recul pour éviter des affrontements que je ne pouvais pas maîtriser ne fut pas une lâche défaite. J’appris à profiter de cet état pour mieux observer mon adversaire (au sens large) et je finis même par comprendre qu’il était impossible d’être 100% d’accord ou en désaccord avec qui que ce soit. Être à plus de 50% devint pour moi une raison suffisante pour chercher du consensus. Et l’avantage c’est que c’était plus enrichissant pour les deux.

Ratés d’embrayage

Cette notion d’absence de maîtrise de la vitesse me fit découvrir un autre problème. Était-ce une conséquence, en était-ce la cause, ou une simple coïncidence ?

J’avais en effet l’impression que je ne savais pas basculer facilement d’un mode de pensée à un autre.

Par exemple, passer d’un esprit de synthèse à celui d’un analyste et vice versa. Quand je voyais globalement une solution, il m’était particulièrement difficile de la détailler dans la foulée. En général, je me sentais plus à l’aise dans l’univers de la synthèse et selon les psychologues de l’époque c’était probablement parce que mon cerveau s’était adapté à une très bonne vue et une mauvaise ouïe.

J’en étais même arrivé à me dire: de même que j’ai un côlon irritable, peut-être ai-je un cerveau irritable, tant mes transitions de sérénité à colère pouvaient être détonantes.

Je ne me souviens pas comme j’ai appris à écrire à l’école primaire. Mais à la retraite, je découvris le shodô, l’art traditionnel japonais de l’écriture. Dommage que cet art n’existe pas en Occident. Cet art aussi est éducatif pour les gens comme moi. Il apprend l’art des mouvements pesants et lourds alternés aux mouvements légers, parfois finissants en un rapide et délicat lancer qui s’estompe en pointe. En plus, cela s’apprend avec un pinceau et non pas une fine plume, ce qui est à mon avis plus pédagogique pour appréhender l’art de l’écriture.

Peut-être que je suis vraiment lent et que pour éviter d’être pris par surprise j’essayais toujours d’anticiper, comme s’il s’agissait d’une fuite en avant. Cela serait la cause de mes mouvements qui démarraient brusquement et ne pouvaient se ralentir. Je ne le saurai sans doute jamais.

Peut-être aussi ne faisais-je pas assez confiance à mes réflexes, à mon inconscient, en rationalisant de trop. En effet, je me souviendrai toujours de cet incident de parachutisme sportif. J’apprenais les premiers exercices de chutes libres. Il fallait rester stables pendant la chute en position cambrée, face au sol. Ainsi, on repose littéralement sur une « savonnette » invisible comme un oiseau qui volerait avec des ailes déplumées. Mais, j’ai une jambe plus courte que l’autre, ce qui avait entraîné une double scoliose, et je ne le savais pas à l’époque. À cause de cette malformation, j’avais tendance à rentrer en vrille. Soudain, une fois, en essayant de bien maîtriser ma stabilité, je basculai sur le dos. Je luttai pour revenir sur le ventre. J’imaginais que le temps avait dû courir pendant ce débat inesthétique et la descente rapide qui me rapprochait du sol. Vite, je posai la main sur la poignée pour ouvrir le parachute en même temps que je jetai un coup d’œil sur l’altimètre. Comme dans un film, qui au lieu de passer 24 images par seconde, en passerait plus du double, je vécus au ralenti les évènements qui suivirent. En effet, en regardant l’altimètre fixé sur mon parachute ventral, je vis que celui-ci s’ouvrait. J’écartai la main de la poignée, sachant que l’ouverture des deux parachutes en même temps pouvait être quelque peu compliquée. Mais je compris aussi que j’étais très bas et que le système de sécurité avait déclenché l’ouverture du parachute de secours. Tout s’est bien terminé. Mais cette sensation de vivre au ralenti m’a toujours étonné et laissé rêveur sur cette capacité du cerveau à changer de dimensions temporelles.

Par contre, autant je pouvais paraître audacieux de pratiquer un tel sport, autant je souffrais d’amaxophobie. Quand je conduisais, en ville, pas en «brousse», je voyais le danger partout. Et souvent, après un voyage j’avais les mains moites au volant. Était-ce dû à un stress permanent tapi au fond de moi ou à des stigmates d’un accident de voiture dont furent victimes mes parents quand je fus très jeune?

Scout, toujours…!

Ma mère était couturière et mon père photographe. Comme il avait un glaucome de naissance qui avec l’âge s’empirait, il devait abandonner son métier. À cause de cette infirmité, il devint gérant de cinéma. Malgré tout, il continua à réparer des appareils photo, et faire des retouches de photos en noir et blanc utilisées pour des médaillons, etc. Il finissait même par réparer d’autres petites mécaniques comme les montres. Il avait aussi suivi des cours de comptabilité. Ma mère rejoignait mon père au cinéma en étant caissière. Mes parents voulaient m’assurer le meilleur futur possible. Non seulement ils travaillaient jusqu’à seize heures par jour, même le week-end, mais la première fois qu’ils prirent des vacances ce fut pour m’accompagner à mon inscription et mon installation à l’université de Grenoble.

Dans ces conditions, il leur était très difficile de s’occuper de moi, et ils prirent la décision de me mettre chez les louveteaux. Là, je commençai à apprendre à manger n’importe quoi, moi qui étais si difficile et pratiquement végétarien avant l’heure.

Plus tard, ce fut moi-même qui décidai de devenir scout. Et comme j’étais assez âgé déjà quand je pris cette décision, je fus rapidement nommé chef de patrouille, après avoir reçu mon totem de scout, «Antilope utopique». Même aujourd’hui je suis émerveillé de voir que ce surnom me décrit si bien.

Plus tard encore, je devins chef de troupe, ou plus précisément intendant de troupe. Car je n’ai pas la fibre d’un chef.

Arrivé en France, et remarquant une affichette demandant des volontaires pour s’occuper du scoutisme, je me suis proposé. Avoir été scout dans les terres où Baden Powell avait créé le mouvement, il m’était impossible de m’adapter au scoutisme citadin.

Dans la foulée, mai 68 éclata. Le scoutisme fut regardé avec dédain, et je me tus sur mon expérience et pourtant… Le scoutisme m’a énormément enrichi. Il m’a appris toute sorte de comportements. La discipline tant snobée ou contestée. Nous ne la voyions pas comme une restriction de liberté, voire une punition, mais comme une épreuve quasi sportive à surmonter, parfois indispensable pour survivre. Non! il ne faut pas penser que ce «survivalisme» était un entraînement pour à la fin du monde style «Fallout» ou «Biohazard (Resident Evil)». Non! Restons sur terre, ou plus précisément en pleine brousse à l’époque, c’était survivre en attendant les secours.

Même la BA (Bonne Action quotidienne), risée de nombreuses personnes ne connaissant pas le mouvement, était un apprentissage qui permettait de se socialiser en essayant de ressentir les besoins ou les souffrances de l’autre. Aujourd’hui, on parle de la nécessité d’enseigner l’empathie pour compenser son absence.

Oui, je suis fier aujourd’hui de clamer que je fus scout. Et je n’ai même pas honte d’avouer que c’étaient des catholiques. Et, pourquoi en aurais-je honte puisqu’ils m’ont enseigné de toujours être prêt à rendre service et de ne jamais faire mal à autrui? Mieux, elle m’apprit même comment gérer les conflits entre deux scouts. J’osais à me mettre entre les opposants et à demander voire imposer que chacun recule, puis à s’écouter. Et éventuellement, il fallait jouer pile ou face pour savoir qui commence. J’appris et tentais d’enseigner: tais-toi et écoute. Vraiment s’écouter sans préparer sa riposte. De plus, cela me fut fort utile pour apprendre à m’écouter et à maîtriser mes propres émotions sans les étouffer.

Les scouts m’entraînèrent aussi à autre chose en plus de respecter autrui pour mieux vivre ensemble: observer avant d’agir et savoir se contenter des dons de la nature. Survivre malgré la difficulté n’a rien de fasciste et savoir faire confiance à son intuition à son flair est sans doute ce qu’il y a de plus écolo.

Plus écolo? Nous n’abîmions pas la nature, et nous avions le devoir et l’honneur de quitter un campement sans y laisser la moindre trace de notre passage: pas de feuillée, de feu de cuisine ou de camps, de trace de tente, de rigole d’écoulement, rien… Nous remettions les mottes de terre et leurs végétaux à leur place. Nous respections la nature comme un sanctuaire.

Judoka… aïkidoka

Tout en étant un jeune scout, mon père avait eu l’excellente initiative de m’inscrire au club de judo. Cela devait me servir à corriger mes maladresses, mon manque de confiance en moi et ma lenteur.

J’ai appris lentement, très lentement. Ma maladresse ne m’a pas abandonné lors des examens de passage de ceinture. Pire encore, j’ai commencé à réaliser que tout examen me paralysait. De tous les combattants de tous les arts martiaux, je suis sans doute celui qui a passé le plus d’années avec une ceinture jaune.

Soudainement, les évènements au Congo belge (l’actuelle RDC) ont pris une tournure préoccupante pour les Européens qui y vivaient. Il y avait plusieurs sortes d’Européens: des envoyés gouvernementaux, des missionnaires, des employés de l’Union Minière, des migrants comme mes parents qui souvent pensaient renoncer définitivement à leur terre mère.

Selon ce que j’ai appris de l’époque de bouche à oreille et que je conte ici tel que je m’en souviens, l’Union Minière voyait d’un très mauvais œil l’évolution du Congo-Léopoldville (la RDC postcoloniale avant d’être baptisée Zaïre par Joseph Désiré Mobutu) qui commençait déjà à être agité au nord par Patrice Lumumba, le représentant de l’internationale communiste. Plus à l’est, Che Guevara aurait même apporté son assistance technique aux Simbas qui devaient balayer le pouvoir de Joseph Kasa-vubu, suppôt du capitalisme pro-États-Unis d’Amérique du Nord. Il était courant dans notre milieu de croire que l’Union minière (UM) a incité Moïse Tshombé à diriger la province sécessionniste du Katanga. Le but était de protéger les vastes ressources minières (cuivre, cobalt, uranium) de cette région contre la menace perçue d’une prise de contrôle par des communistes. C’est à ce moment-là que j’ai pris conscience du choc des deux principales idéologies dominantes de l'époque. Je commençais à découvrir la géopolitique, alors même que je ne connaissais rien en politique. Je commençai aussi à découvrir les coups de dagues empoisonnées que pouvaient donner, dans l’ombre, ces superpuissances porteuses du flambeau de la lumière, de la justice… la leur. Je ferme la parenthèse. Le temps de l'amertume viendra plus tard.

À cause de cela, le judo que je suivais, malgré tout avec intérêt, même si je me sentais incompétent, se transforma en cours de ju-jitsu et de self-défense. Mais je n’étudiai pas longtemps cet art, car très rapidement mes parents m’envoyèrent rejoindre ma petite sœur chez mes grands-parents puis chez une tante qui m’accueillirent pendant à peu près un an de guerres civiles. Mon aventure en Belgique me confirma que je n’avais plus de «patrie», car je m’y sentais plus étranger que je l’étais devenu au Congo, dans lequel je revins bientôt malgré les conflits qui continuaient.

Mais, par je ne sais quel mystère, les arts martiaux me passionnaient, et par la suite j’essayais chaque fois de trouver une école. Comme je voyageais beaucoup, n’avais pas toujours simultanément le temps et les moyens pour pratiquer. Ainsi, je prenais tout ce que je trouvais sur place, et je découvris le karaté, le kendo, le kondo (kendo coréen avec sabre à une main comme le ninjatō), le taekwondo, l’hapkido (aïkido coréen), l’aïkibudo, et j'arrêtai avec l’aïkido, car mon dos ne me permettait plus de poursuivre ces arts qui me faisaient un grand bien physique et mental. J’y avais appris peu à peu l’esprit de la maîtrise de soi dans l’équilibre et la sérénité. Je m’efforçais aussi de me comporter en aïkidoka dans ma tête, par exemple face aux agressions verbales, pour essayer de mieux maîtriser des situations conflictuelles.

Pour l’anecdote, certains de mes collègues m’avaient surnommé le ninja à cause de ma marche rapide et silencieuse quand je me déplaçais dans les couloirs de mon entreprise. Mais cette démarche, je l’avais déjà en partie acquise aussi chez les scouts, car j’avais aussi appris à marcher sans bruit dans la brousse. Sans le savoir, j’étais déjà imprégné par ou dans le Grand Esprit amérindien en appliquant nombre de leurs coutumes et sagesses. «Marcher sans bruit» dans sa tête et dans son cœur, c’est se montrer respectueux envers son voisinage, c’est écouter à la fois sans casser les autres musiques tout en restant vigilant, car ce n’est pas s’endormir et s’offrir aux prédateurs.

Le mélange de timidité et d’arts martiaux m’avait sans doute apporté l’art de deviner à l’avance l’agression qui pouvait fondre sur moi. Lire les visages, décoder les gestes, déchiffrer les petites phrases… Anticiper toute menace s’était développé en moi afin d’éviter le conflit et entrevoir une issue pour la paix ou pour l’esquive. Là aussi, j’ai appris à exploiter intelligemment un point faible de ma personnalité et qui me conduisit souvent à prendre des rôles de modérateur.

La pratique des arts martiaux m’apporta aussi une autre richesse à la fois psychique et philosophique qui allait s’amplifier avec mes futurs amis japonais et extrême-orientaux en général. C'est ainsi que je pratique encore mon dernier art martial, le taï-chi-chuan.

La recherche des profondeurs

Mes parents étaient perfectionnistes. De plus, ma mère me communiqua son stoïcisme qui se résumait à: «pas de dettes ni physiques ni morales; on vit avec ce que l'on a et ce que la nature nous offre». Mon père, lui, qui m’enseignait à voir derrière les images, les maquillages, etc., avait ouvert mon attirance pour la psychologie et le langage non verbal.

Mon mal-être dans cet univers de perfection qui voulait me jucher sur un piédestal inaccessible ne se manifestait pas que par des lenteurs ou autres blocages qui engendraient par exemple des manques de concentration. Pour me soigner, mon père eut la bonne idée (vraiment, la meilleure, même) de m’offrir un jour «La volonté, une clé de la réussite, à la portée de tous…» (® Marabout Flash, © Éditions Gérard et C°, Verviers, 1960/48 C)

Mon père était convaincu que je manquais de volonté, et grâce à ce livre je découvris Pierre Daco avec cette fameuse sentence que je n’oublierai jamais et qui retournait le célèbre et fatidique «qui veut, peut» en «qui peut, veut!». Avec ce livre s’ouvrait une porte vers ce qui sera pour moi un long cheminement dans cette recherche qui me conduirait jusqu’à la «Légende de Hôdo», puis le projet qui donna naissance à ce site.

Déjà avant de l’avoir lu, les mécanismes de la pensée me fascinaient en perdant mes regards vers les étoiles «Qu’est-ce qui prouve que lorsque je vois du rouge que l’autre m’a enseigné comme étant rouge est vu rouge dans la tête de l’autre?». Grâce au cadeau de mon père, je découvris qu’il y avait une science qui étudiait la pensée, et donc, quelque part, pouvait exister des réponses à mes questions. Aussi, je commençai à lire les autres écrits de vulgarisation de Pierre Daco. Si mes «timidités» me gênaient, j’étais par contre malheureux, voire terrorisé, par mes emportements. Je me sentais toujours comme une marmite à pression ou un volcan souterrain prêt à exploser. Et cela me conduisit à découvrir «L’agressivité détournée» de Henri Laborit qui devint à partir de cet instant en quelque sorte un mentor et qui fut l’inspiration de Charte de Hôdo.

INTP

(acronyme en anglais « introversion, intuition, thinking, perceiving » signifiant Introversion, Intuition, Pensée, Perception)

D'après le site français MBTI, un INTP se définit comme étant:

— penseur
— architecte
— érudit
— concepteur
— critique
— designer d'idées
— théoricien Créatif

Ils ont donc tendance à être :

— calmes, indépendants et secrets;
— logiques et peu sentimentaux;
— créatifs, astucieux, innovateurs et penseurs globaux;
— curieux et poussés à accroître leurs capacités;
— décontractés et adaptables;
— non conformistes et imprévisibles.

Les choses les plus importantes pour les INTP sont leur vie privée et les opportunités de résoudre des problèmes complexes.

J’ai découvert que je serais un INTP, c’est-à-dire un «penseur», une sorte de «cogitateur», voire de «remueur-de-méninges», et dont le comportement global me correspond assez bien. Peut-être même ai-je quelque chose du syndrome d’Asperger. En tout cas, j’y retrouve tant de mes comportements… Enfin, j’y vois une réponse à tous mes questionnements, et, raison de plus, pour m’adresser à ceux qui sont «différents» de ce qui est censé être «normal». La voie est devant nous, elle se déroule sans cesse vers des horizons inconnus, et y marcher est tellement plus riche que de se croire arrivé au bout.

Ce que j’ai appris en tant que physicien, c’est qu’en fait nous ne savons qu’une chose, c’est que nous faisons notre possible pour savoir plus qu’hier.

Je suis un penseur formé au beau métier de physicien qui enseigne une forme de pensée et une philosophie. Le physicien est voyageur entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, à la recherche du pourquoi et du comment, trouvant derrière chaque réponse de nouvelles interrogations qui l’attendent. Un penseur humble, car il ne serait rien sans les autres humains. Mais il ose croire qu’il est comme une luciole dans la nuit…

Je suis philosophiquement et politiquement «physicien», je ne suis ni à gauche ni à droite, ni au centre ni aux extrêmes… L’univers vit et se modèle en permanence au rythme des répulsions et des attractions qui agencent chacune de ses composantes, des particules aux galaxies. Il en est de même pour cet assemblage de poussières d’étoiles qui ont engendré l’orgueilleux humain qui se croit trop souvent sorti de la cuisse d’un dieu.

Être soi et aller de l’avant

Henri Laborit a gravé dans mon âme de chercheur physicien une notion que j’essaie de partager depuis: cessons de juger et de donner une valeur morale à ce qui est hérité! Pourquoi se culpabiliser ou culpabiliser autrui pour telle ou telle caractéristique, physique ou mentale, que nous avons hérité? De même, pourquoi se vanter de ce que nous avons reçu sans l’avoir voulu ni construit? Le physicien dirait même: qu'est-ce qui est meilleur dans l'Univers, l'électron ou le proton?

Je ne suis ni fier ni honteux de ce que je suis ni des premiers apprentissages que l’on reçoit même si je peux être content d’avoir eu telle ou telle chance. Je suis modeste quant à ce que j’ai choisi, car on ne sait jamais avec quel degré de liberté mentale on l’a rêvé puis essayé de réaliser ce dernier. Je pourrais être fier de ce que je crois avoir réussi par moi-même, mais je me contente d’avoir essayé d’être heureux en partageant ce bonheur avec d’autres et en évitant de rendre malheureux qui que ce soit par mes actes.

Et je pense, et je crois que tout un chacun peut et devrait penser de même pour son bien-être au sein d’une communauté harmonieuse. C’est ainsi qu’est née la «première loi de Hôdo» le respect de toute forme d’intelligence. Même la sienne. Autant il faut savoir écouter autrui, et même la nature, autant il faut oser s’écouter. Oser se regarder, non seulement en face, mais à l’intérieur. Comment écouter l’un ou l’autre sans a priori si l’on commence à juger? Sans compter que celui qui est à face a finalement le même cerveau que moi, mais enrichi avec des expériences différentes qui l’ont peu à peu modelé dans «sa» vérité. Une vérité sans laquelle il n’aurait sans doute pas pu survivre en paix avec lui-même. Tout comme moi.

Ô, croyez-moi, je resterai humble en vous confiant que souvent, trop souvent à mon goût, j’ai échoué, mais cela fait partie du jeu de la vie… Et chaque fois, je me suis remis en marche sur la Voie.

D’un autre côté, il ne faut pas croire que le respect d’autrui est un comportement complaisant ou condescendant. Tout n’est pas supportable, mais il est plus noble et sain pour chacun des antagonistes de considérer qu’on a un adversaire à neutraliser le plus pacifiquement possible qu’un «pas gentil» à gronder, voire à châtier. Bien sûr, là aussi, tout est question de mesure, mesure édictée par la société, mesure installée par sa capacité de tolérance. Mais il ne faut jamais laisser place à la haine qui ne permet plus de respecter l’intelligence de l’autre. De même, il ne faut jamais humilier le vaincu, ce qui est un refus de respecter de l’intelligence, mais qui est en plus une erreur de stratégie, car si la paix n’est pas revenue de part et d’autre, le vaincu se vengera toujours et la colère d’un instant deviendra haine pour toujours. Voilà, ce qu’un timide, petit, pas musclé ni habile a appris.

J’ai su vivre ma «timidité», ma réserve. J’ai su m’entêter et persévérer, en silence, fataliste et stoïque. Mon tempérament me rendait incapable d’être un chef, mais j’étais capable d’apporter à ce dernier, sinon mon expertise, au moins mon remue-méninges. Certes, l’éclat de la gloire n’illumine pas ceux qui sont dans l’ombre, mais quelle satisfaction intérieure quand on voit l’une de ses idées fleurir à la lumière!

Hélas aussi, le silence n’est pas exempt de tempêtes, de susceptibilités qui font plus exploser le volcan endormi que les blessures physiques ou les échecs. Mais jamais mes colères volcaniques ne se transformaient en haine. Et si je voulais marquer le coup en me vengeant, je ne me vengeais qu’une fois. C’était une des règles que je m’imposais, qui n’était pas innée ou inculquée par l’une ou l’autre éducation. Une règle que je retrouvai un jour dans la culture vulcaine de Star Trek. Une culture dont je pesais toute la signification. Comme j’ai envié l’ataraxie de Mr Spock…

Citoyen du Monde

La tristesse de ne plus me sentir congolais et de ne pas me sentir belge me donna l’impression d’être apatride. Et cela m’avait poussé à découvrir d’autres terres. La première d’entre elles fut la France.

Mon passage par l’université de Grenoble me perturba quelque peu, mais j’y découvris qu’il valait mieux être citoyen du monde qu’apatride. De plus, c’est là que je découvris celle qui allait être courageusement ma compagne tout au long de mes pérégrinations jusqu’à aujourd’hui.

Déjà au Congo, j’avais reçu un enseignement à la fois très scientifique, très professionnel et très humaniste des salésiens. Ces prêtres n’avaient rien des évangélistes qui clament la religion d’État outre-Atlantique, ils ne passaient pas leur temps à propager leur vérité et leurs dénigrements presque haineux. Au lieu de bavarder, ils créaient partout au plus profond de la brousse des écoles et des dispensaires.

Le milieu universitaire me mit en contact avec des amis anarchistes, communistes, maoïstes et des étrangers de tous les coins du monde. Leurs échanges m’avaient montré la voie de la synergie.

Mieux, je découvris pendant cette même période des religions diverses, des sectes de types hindouistes, maçonniques, japonaises… façonnant peu à peu mon agnosticisme tolérant devant les choix que chacun peut prendre pour se rendre en «terre inconnue».

Je n’ai pas attendu de découvrir Einstein et le monde de la physique qui devint ma «religion», ma «philosophie», pour comprendre combien tout était relatif dans les sagesses et savoirs humains. Pire, cette conception de relativité s’était même confortée par le fait que je m’investissais dans les particules élémentaires. La mécanique quantique, dévoile un univers où tout est probable, même si cette probabilité est infinitésimale, un univers où aucune vérité, aucune certitude n’est absolue. Une incertitude qui laissera toujours une porte ouverte pour aller plus loin…

Bien avant que Star Trek ne naisse, j’avais déjà été fasciné par «Explorer de nouveaux mondes étranges, découvrir de nouvelles vies, d’autres civilisations et au mépris du danger, avancer vers l’inconnu.» D’ailleurs, Star Trek, je l’ai découvert à mon arrivée en Bolivie. Cette série était la première que j’ai écoutée en espagnol au début de mon apprentissage de cette langue que j’ai apprise sur le tas et que je n’oublierai jamais.

J’appris plus tard ce que l’une de mes icônes de cette série clamait «Ce qui est utile à beaucoup l’emporte sur les désirs du petit nombre ou à un seul.» J’ai rapidement pensé que c’était la seule issue pour que l’espèce, fragile et complexe que nous sommes, survive. Il paraît que l’on appelle cela démocratie. Aujourd’hui, j’ai des doutes sur nos démocraties qui se résument souvent à la loi non du plus nombreux, mais du plus fort, voire du plus violent. Un autre sujet…

Quel désarroi pour l’explorateur de civilisations que je devins en comparant la souffrance des citoyens des pays pauvres et celle des nantis qui crie au liberticide dès qu’il leur est demandé de ne pas oublier que la liberté de chacun s’arrête là commence celle de l’autre! Si j’avais un souhait à faire pour tout un chacun, je dirais: «partez à l’étranger, mêlez-vous au peuple, tout le peuple, pas seulement la cour des ambassades. Adaptez votre comportement à ce peuple. Si c’est trop dur, n’insistez pas et quittez-le sans amertume, tout n’est pas possible à tout le monde». Mais si vous pouvez, vivez dans ce nouvel univers au moins plusieurs années. Alors vous connaîtrez un peu de ce peuple, par contre votre sagesse et votre humilité auront fait un bon en avant.

Je suis heureux d’avoir pu m’enrichir de tant de sagesse et de savoir issus de tous les pays du monde. Des choses que l’on ne peut apprendre à l’école et d’autres qui doivent être vécues pour imprégner notre être. Heureux d’avoir découvert deux cultures comme le flamand et le wallon, heureux d’avoir connu plusieurs civilisations congolaises. Trop souvent, le non-Africain oublie la grandeur de ce continent qui a ses différences comme les Picards et les Marseillais, les Liégeois et les Ardennais, les cambas et les collas en Bolivie. J’ai même été fortement influencé par le Japon, que je n’ai connu qu’à travers mes collègues et amis japonais dont j’ai adopté certaines traditions. Tout est relatif… et il y a plus d’idées dans deux têtes que dans une, surtout quand elles partagent des cultures différentes. C’est ce que je souhaiterais à tout un chacun.

Il n’y a qu’une chose que je regrette: le nombre d’amis et de collègues dont on perd le contact avec l’éloignement. Mais toutes ces connaissances, même celles dont j’ai perdu le nom, sont en moi. Elles sont les briques de l’être que j’ai construit au fil des ans et au fil des expériences. Ce sont plus que des souvenirs gravés.

Hôdo, la légende

Bernadette et moi étions partis en Bolivie pour un long voyage. Dans ce pays d’Amérique latine j’avais découvert la série Star Trek, en espagnol, chez des amis boliviens qui m’aident à m’intégrer dans leur univers. À notre retour en France, sept ans plus tard, nous fûmes frappés par le changement qui s’opérait dans notre pays. En même temps, la série Star Trek que je trouvais «fascinante» y démarrait et je la suivis presque plus par nostalgie que par passion. Mais pas seulement, car en fait, l’esprit onusien de cette légende et celui de l’ataraxie porté par Mr Spock me séduisaient. Et en plus, je crois en cette devise vulcaine «Infinies diversités dans d’infinies combinaisons».

Je cherchais comment encourager Bernadette à se risquer dans l’écriture avec des outils modernes. L’idée me vint d’écrire une histoire, par esprit de gageure. Je voulais lui montrer que s’il m’était possible de me lancer dans une voie qu’elle aurait sûrement mieux maîtrisée que moi, elle pouvait s’y aventurer sans hésiter. Et ce fut l’univers des trekkies que je choisis comme terrain d’essai.

À cette époque, vers la fin de la première génération de Star Trek, les passionnés se demandaient comment les acteurs qui vieillissaient se retireraient du jeu. Déjà, la première mort de Spock choqua tellement les fans qu’il fallut lancer «À la recherche de Spock». J’eus alors l’idée d’essayer de créer une fin dans l’esprit humaniste de Star Trek où Kirk décéderait en héros et ses compagnons, McCoy, Spock… prendraient leur retraite. C’est ainsi qu’en réalité, mon tout premier roman fut une tentative pour la collection Star Trek dirigée par Jacques Goimard dans Fleuve Noir. «La déchirure» était ma première histoire qui se basait sur des comportements de société et de leur dysharmonie. Hélas, mon roman aurait dû être écrit en anglais pour pouvoir être agréé par la Paramount. Je n’avais pas les moyens de me faire traduire. Et de toute manière, j’aurais refusé de traduire. D’une part, l’histoire était parsemée de jeux de mots francophones. D’autre part, je trouvais que c’était trahir l’esprit universaliste de Roddenberry qui prônait la non-ingérence si souvent bafouée.

En même temps, je ne voyais pas de grandes améliorations sociales. Or je suis un grand partisan de l’esprit de H. Laborit qui clamait autant qu’il le pouvait: «Comment espérer qu’un jour l’Homme que nous portons tous en nous puisse se dégager de l’animal que nous portons également si jamais on ne lui dit comment fonctionne cette admirable mécanique que représente son système nerveux? Comment espérer voir disparaître l’agressivité destructrice, la haine, la violence et la guerre?»(Cf. Le cerveau à tous les niveaux)

Plus tard, un peu déprimé par mon activité professionnelle où je ne me sentais plus m’épanouir, je me suis demandé «et si je n’avais que ma plume pour vivre?» Alors, comme j’avais été indirectement encouragé dans ma première expérience, je me suis dit, je vais écrire MON histoire, sans dépendre de personne.

Laborit avait essayé de passer ce message au travers d’un film «Mon oncle d’Amérique». Or ce que j’appréciais aussi dans les Star Trek, c’étaient les situations «tube à essai» dans lesquelles, des êtres évoluent dans un univers de fiction. Pour moi, la science-fiction permet de prendre ce recul indispensable pour ne pas désigner des coupables de la vie réelle, mais pour comprendre des comportements, des réactions et finalement de possibles utopies comme issues. Ceci, dans l’espoir que chacun puisse en tirer ses propres conclusions.

Puisqu’il fallait un univers qui me fut personnel, j’imaginai à partir de mes rêves de physicien un univers où l’on pouvait y accéder sans utiliser la technologie de Star Trek. Ensuite, je ne voulais surtout pas d’un monde où l’on jouerait aux cow-boys contre des peaux rouges. Il valait donc mieux pour cela une terre inhabitée, malgré tout assez habitable pour mon histoire, un tube à essai dans laquelle mes personnages vivraient une expérience, la leur, mon utopie. Ainsi, c’est dans un environnement de type cambrien que mes héros auraient à développer mes thèses, celles d’une société aux mille composantes vivant en harmonie malgré toutes leurs divergences. C’est au cours de l’installation de mes pionniers sur leur nouvelle planète que me vint le nom de cette dernière. Hōdo, selon mes humbles et petites connaissances autour du bouddhisme japonais, représentait à mes yeux le paradis terrestre que l’on construit par son comportement. Car, selon ce que j’ai compris, Hōdo, dans le bouddhisme, c’est la terre de la Récompense de l’ascèse ou la promesse d’Amithaba de sauver tous les êtres.

Bien avant d’en arriver aux «pionniers de Hôdo», j’avais découvert en même temps que l’informatique, un intérêt pour la bionique et surtout l’intelligence artificielle. L’amateur passionné par le sujet, j’avais même écrit pour le site «La vie artificielle» un petit pamphlet sous forme de lettre ouverte «Nous, Borgs». Ce pamphlet fut publié sur un site parallèle francophone de Star Trek qui y adjoignit dans la foulée «La déchirure».

Pour conclure l’histoire sur ce conte utopique, il me fallait une sorte de «deus ex machina»… Machina? Et pourquoi pas des androïdes? Et voilà que j’eus l’inspiration d’écrire une suite à l’histoire de ces pionniers, l’histoire d’une intelligence artificielle. Mais l’intelligence de l’androïde Homo Sapiens Syntheticus qui s’élevait au niveau que celle de l’humain avait une énorme différence: il manquait volontairement dans leurs émotions toute forme d’agressivité. Je venais de poser, sans le savoir, les deux piliers de ma saga «Hôdo, la légende».

Les deux premiers tomes furent publiés dans un site «copyleft officiel» qui les avait même proposés à la Cité de la Villette. Mais je me méfiais des gens qui copient la Toile sans citer leurs sources ou la paternité d’une œuvre. Aussi, j’ai pensé qu’il était plus sage de les publier dans une petite maison d’édition dont je partageais, et partage encore, le concept. Malheureusement, la qualité de l’impression laissait à désirer. Donc, j’ai changé de maison d’édition en espérant me faire connaître mieux.

Mon activité professionnelle s’était améliorée par la suite, j’ai abandonné l’idée de vivre de la plume. Heureusement! Si j’ai écrit par la suite, c’était souvent pour faire plaisir à des amis ou à des proches qui me demandaient une suite ou tout simplement, parce que j’avais une idée en tête. De toute manière, pour moi, ma science-fiction est l’équivalent des fables de La Fontaine, mais dans le royaume de la psyché. Et chaque volume devait représenter un «tube à essai» décrivant un certain type de relation à observer.

Au début, ça marchait bien jusqu’au 5e. Au 6e, j’ai commencé à avoir des doutes. Je sentais de plus en plus que je faisais en fait de l’«autopublication» camouflée, du coup, les volumes suivants ont été cette fois-ci réellement autopubliés. Puis, un jour, un ami me demandait de fournir un de mes volumes pour son fils. Je fais la commande à la FNAC. Cette dernière s’est excusée après plus d’un mois de ne pas avoir de réponse de l’éditeur. J’ai vu rouge, j’ai tout réédité en autopublication sur Amazon, car j’ai suffisamment de compétence en publication bien formatée de document. Merci, LibreOffice ! C’est grâce à ce logiciel que j’ai réussi à faire ce que je voulais et comme il le fallait. Vive le logiciel libre!

En même temps, je découvrais avec une certaine déception que je ne serais jamais vraiment lu par beaucoup de monde. j'avais un public ciblé, une niche. D’autant plus que des statistiques indiquaient qu'en France la SF était classée avant-dernière dans les œuvres littéraires, juste avant la poésie. Nous sommes «trop cartésiens». Et le comble en SF, les deux branches les moins appréciées sont la Hard et la Spéculative. Précisément, mes domaines de prédilections.

Parmi les expériences qui m’ont le plus blessé, il y a eu celle de «La juge noire». Ce roman, j’aurais pu le situé n’importe où sur la planète comme je l’ai fait pour L'anthropoïde de la paix. La juge noire ce déroulait dans un Poitiers du futur, avec sa richesse architecturale historique qui pouvait et pourrait sans doute encore dévoiler bien des trésors. Mais les librairies que j’allais consulter pour le mettre en vente ne daignairent même pas me répondre. Quant à la juge noire… «Noire» dites-vous! Je mériterais peut-être la guillotine dans une autre époque, pourtant pour moi, il ne s’agissait pas d’une insulte, bien au contraire.

Le mépris et l’agressivité gratuite ont fini par corroder mon caractère d’acier, alors, j’ai écrit «le chant du cygne» en changeant légèrement, avec mon éternel amour du jeu de mots, paraît-il, hérité de l’humour belge. «Les champs des signes» n’est plus vraiment de la pure psychologie spéculative, mais de la physique, mes rêves brisés…

Mais l’infatigable Antilope utopique que je suis, encouragé par Bernadette, se risqua encore à un dernier roman, légèrement à l’écart du monde de Hôdo cette fois. Et finalement, me rendant compte que l’incorrigible Don Quichotte que je suis n’arriverait jamais à bout des éoliennes, ces moulins à vent modernes et écolos, il finit par prendre son courage à deux mains et à traduire son roman pour un peuple précurseur en IA et qui adorait le « Ghost in the Shell ». C’est ainsi que mon roman, je l’ai autotraduit en japonais.

The end!

De la mer tumultueuse au tsunami

Peinture à l'huile de mon père

Sans répit, je réalisais à la sueur de mon front la rengaine: «métro, boulot, dodo». Et je continuais ma voie comme on me l’avait enseigné. En respectant tout le monde, même si je pouvais être en désaccord. Et dans ce cas, je le disais, peut-être avec colère, mais jamais avec haine.

Pourtant, des gifles, j’en ai reçu. Combien de fois on m’a repoussé avec un «débrouillez-vous» sous entendu dans un silence en guise de réponse? Pourtant quand je demandais de l’aide ce n’était que pour recevoir des conseils afin de savoir comment m’en tirer, rien de plus. Combien de fois dans les transports en commun ai-je entendu «c’est à cause de ce que je suis que l’on ne m’a toujours pas répondu à ma cinquantième lettre de candidature.» C’est à cause de quoi alors que moi et mes enfants avons vécu la même chose?

Dès mon retour en France j’avais ressenti une horrible fracture sociale qui se préparait. Je l’avais même décrite sous forme de poème allégorique:

Il était une fois un beau collier de perles. Toutes sortes de perles. Perles des mers, perles de pierre, perles colorées, perles précieuses… Mais l’une d’elles trouva qu’elle était limitée dans ses déplacements à cause d’une chaîne, fut-elle en or ,qui l’empêchait d’aller là où elle le voulait. Elle en trouva le maillon faible et s’acharna à l’user. Soudain, elle fut libre. Elle voulut en profiter pour retrouver ces perles qu’elle ne pouvait rejoindre auparavant. Hélas, il n’y avait plus de collier et les perles étaient éparses dans la nature. Toutes les perles avaient trouvé la liberté… chacune pour soi.

La liberté! Peu à peu, elle s’est transformée en «moi seul détiens la vérité», sans doute pour assumer sa solitude.

Au fond, pourquoi pas? Chaque cerveau est convaincu d’être en toute bonne foi dans la vérité. Mais le problème est lorsqu’il se transforme en évangélisme pur et dur, manipulant la culpabilité pour les uns et la prise d’armes pour les autres. La vérité qui se transforme en croisade ou en terrorisme devrait une fois pour toutes disparaître de nos mœurs comme le souhaitait Laborit. Titiller l’un pour que dans la colère de son ressenti, il anéantisse l’autre est tellement plus commode pour celui qui n’affronte pas de face son ennemi. Et il paraît si noble de se dresser comme la statue de la Liberté en clamant «vous voyez, moi j’ai défendu la liberté, l’égalité…»

— Heu, et la fraternité?

— Taisez-vous! La fraternité je m’en charge!, je vais vous prendre de quoi aider le plus pauvre que vous.

Me prendre quoi, ma seule richesse accumulée est celle que j’ai héritée de mes parents et beaux parents! C’est eux qui m’ont sorti du gouffre, par leur mort. Je ressentais même çà comme une gifle. Dépendre de la mort de certains pour pouvoir continuer à vivre m’est insuportable. Et tout ça pour aider celui qui a une Mercedes alors que dans les mêmes conditions, je n’avais qu’une 4L d’occase aimablement vendue par mes beaux-parents, qui comme beaucoup de gens de cette génération incitaient leur descendance à se battre pour s’en sortir et améliorer leur destin?

Quand vint l’heure de ma retraite, j’étais fatigué par le nombre d’heures passées en transport en commun pour aller à mon travail, un temps qui était parfois plus que doublé à cause des grèves fréquentes. J’ai fui la région parisienne pour chercher un peu de paix. Comme je n’avais pas de port d’attache, je partis à Poitiers pour ma dernière aventure.

Au fait, vous avez dit…?

Sur le tard de ma vie, je découvris qu’elle fut la curieuse «anomalie» qui m’avait affecté pendant des dizaines d’années et dont je ne m’étais presque pas aperçu si des proches et des connaissances ne me l’avaient signalée.

Je suis légèrement malentendant, et parfois même, je me comparais avec amusement au professeur Tournesol, certes en beaucoup moins dur d’oreille. Cette mauvaise audition ne m’avait jamais vraiment interpellé, et je ne cessais de m’adapter aux circonstances. Aussi, quand je fus à la retraite, on m’apprit que ce que mes oreilles percevaient comme bruit était des acouphènes. En y réfléchissant, je compris alors toutes mes «mésaventures» auditives. Je comprenais que ce que je prenais pour une étrange dyslexie était peut-être déjà dû à mes oreilles très tôt dès mon enfance. En effet, l’une de mes premières grosses difficultés en première année d’école primaire fut de différencier les nombres 6 et 10. Je m’étais toujours demandé pourquoi, et je n’avais jamais pensé à la similitude sonore. Je disais que mes difficultés, au lieu de me bloquer, me poussaient à trouver des solutions de contournement… Et curieusement, cela me poussa dans un premier temps à mieux maîtriser le calcul, et par la suite, les bases de l’algèbre avant de découvrir son existence.

Plus tard, les dictées furent pour moi une horreur. Le moindre son incompris pouvait me rendre un mot inassimilable, ce qui à son tour pouvait transformer la phrase en une suite de mots sans signification. Il n’était pas rare, que je laisse dans ma dictée un «blanc» à la place d’une phrase ou d’un mot. Cela aussi me poussa à enrichir le plus possible l’étendue de mon vocabulaire pour ne plus être pris à l’improviste.

Et en Fac, quand tout est dans la prise de notes…! Le souvenir est tel que dans tous les groupes de travail, professionnels ou non, j’ai toujours refusé d’entrée de jeu d’être celui qui prendrait des notes pendant la réunion. En effet, cela me contraint à me concentrer très fortement sur ce que j’entends plus que sur ce que je dois comprendre, un exercice fatigant et frustrant. Frustrant, car je n’arrive plus à m’immerger dans le suivi du cours ou de la discussion.

Quant aux acouphènes proprement dits, le plus vieux symptôme qui me revient en mémoire fut un jour de mon adolescence préuniversitaire. Quand je rentrais la nuit chez moi, par exemple d’une réunion de scouts, j’aimais écouter les grillons et autres chants de la faune nocturne. Mais un soir, un léger sifflement dans l’oreille m’interpellait, car il ne ressemblait pas à ce que je connaissais. Malgré l’obscurité, j’essayais d’observer les environs, et je vis une chauve-souris s’envoler. J’en avais déduit que ce que j’entendais était les cris de ces animaux.

Des ultrasons? Aurais-je un problème de calibrage interne de l’audition, pensais-je? Comme une radio mal réglée? Plus tard, je dus enseigner des éléments de biophysique, parmi lesquels le fonctionnement de l’oreille. Un véritable bijou d’horlogerie de la nature! Je me rendis compte que s’il y avait un problème de «réglage», il fallait tenir compte d’un autre élément, car l’oreille dans sa perfection ne pouvait à mon avis créer des sons. Cet autre élément devait être le cerveau lui-même. Comment? Je n’en sais humblement rien, mais en revanche, je craignais qu’un remède agissant à l’entrée de l’oreille ou même au-delà du tympan ne résolve pas les problèmes.

Enfin, pour terminer sur l’anecdote dont je ne connais toujours pas l’issue, j’ai testé des appareils auditifs. Pour cela, il fallait tout d’abord que je voie un ORL qui me détecta et mesura avec précision les fréquences de mes acouphènes très différents dans chaque oreille. En essayant de savoir quelle en était l’origine, le médecin qui savait que toute ma jeunesse, je l’avais passée en RDC, me dit: «vous avez pris de la quinine, de la nivaquine… C’est dans ma liste, la cause la plus probable de votre problème».

Quant aux appareils, je fus déçu. Et pour cause. Ce qu’ils faisaient, c’était d’amplifier les sons «acouphénés» pour qu’ils émergent de mon bruit de fond. Le résultat était plutôt mitigé. J’entendais un peu mieux avec une certaine disharmonie. C’était comme si mes acouphènes étaient un concert de violons, et que l’on amplifiait celui du violoniste soliste pour mieux percevoir sa musique. C’était déséquilibrer toute la symphonie…

Finalement, ce fut là aussi une belle leçon de la vie, celle que je défendais et défendrai toujours: vis avec ce que la vie t’a donné et utilise même tes points faibles pour l’améliorer.

Il ne faut pas croire que tout échec est à fond perdu, mais il faut aussi voir ce qu’il a apporté. Le meilleur exemple est celui de mon goût pour le violon. J’ai tenté en vain d’apprendre à jouer de cet instrument. C’était mission impossible avec mon audition qui n’était pas capable d’accorder l’instrument. Mais, j’ai gagné malgré tout quelque chose d’inestimable à mes yeux. J’adore encore plus aujourd’hui écouter les violonistes, car je ressens leur compétence en ayant essayé de les imiter.

La couronne ne rit plus
(Jeu de mots sur «Les Couronneries» de Poitiers, mon quartier de résidence)

Dessin de mon père

Inlassablement, j’essayais de promouvoir une autre manière de vivre en synergie avec toute l’humanité. He oui, chacun sa vérité, et je n’y échappe pas.

Le physicien ne pouvait s’empêcher de penser à l’électron et au proton. Pour lui, il était absurde d’attribuer une valeur à l’un ou à l’autre. Autant l’un que l’autre, ils sont indispensables à la création de l’Univers que nous connaissons.

En corollaire, je ne cesserais de clamer non seulement de ne pas faire de la discrimination, mais aussi de camoufler cette dernière en anti-machin. L’antiracisme est le miroir du racisme; le féminisme est le miroir du machisme. Apprenons à mettre en valeur les qualités de chacun pour ensemble créer, comme l’électron et le proton créent l’atome.

Ne perdez pas votre temps à déconstruire (au sens moderne du terme), ne soyez pas l’entropie, le temps s’en chargera inexorablement et toujours mieux que vous. Construisez! Participez à l’œuvre de l’Univers, ce grand architecte qui n’est sûrement pas à l’image de l’humain (dieu, merci!). Admirez les prouesses techniques de l’évolution qui a créé par exemple les oreilles, les yeux…

Les yeux sont néanmoins des organes fragiles. Et pourtant l’humanité n’a pas essayé de déconstruire l’œil sous prétexte que cela ne lui convenait pas. Au lieu de cela, combien d’experts se sont évertués à non seulement guérir, mais améliorer la vue?

Ainsi, lorsque l’on découvrit que j’avais un début de cataracte, doublé de presbytie et d’un astigmatisme, on me proposa de guérir l’ensemble. Trop habitué à ce que je ressentais comme une sorte de discrimination positive, je ne croyais plus en la justice sociale. Entraîné à être non redevable et à me débrouiller par mes propres moyens, je décidai de payer de ma poche et faire des voyages épuisants aller-retour à Paris pour y être soigné.

Le 29 juin, jour de l’opération de l’œil gauche pour la cataracte, le saccage des Couronneries est la goutte qui fait déborder le vase. Comment refouler tous mes souvenirs qui remontaient comme un tsunami?

Mais ce qui m’interpelle au-dessus de cela, c’était qui a pu organiser cela, car cela ne pouvait pas être spontané. Il y a de la logistique derrière, donc un maître du jeu. Curieusement, déjà un peu avant, comme si j’anticipais la présence de ce maître et ce qui arriverait, je fus atteint de crises d’angoisses. J’eus aussi un bruxisme si violent que toutes mes dents du haut se déchaussèrent, et certaines engendrèrent même des fistules dans la gencive.

Ébranlé par l’événement d’une extraordinaire et rarissime violence, je sombrai un peu dans une profonde tristesse, et d’un coup, je compris le message de désespoir que mon père avait laissé dans plusieurs de ses œuvres. Lui aussi avait su voir tous ses rêves balayés. Mais suivant son exemple, selon mon propre mode de vie, je me remis en marche sur la Voie. Non, ce n’est pas un happy-end. Je continuerai, même seul, à défendre, non pas un rêve égocentrique, mais rêve pour l’humanité et la planète, car j’ai peur pour son avenir. Je dois en parler et tourner la page sur mon amertume.

Je ne veux pas de cette gauche qui se nourrit des libertés gagnées par la droite pour s’acheter un visa pour le paradis comme m’expliquait un prof salésien. (J’insiste sur ce détail congrégationniste de ces religieux, car pour moi, ils ont été de véritables mentors de science, de sagesse et d’humanisme.) Pour moi, la gauche, la vraie, n’est pas celle qui se cache derrière le mot « amour », comme dirait Laborit (Éloge de la fuite). Ce n’est pas déshabiller Pierre pour habiller Paul, surtout que Pierre est souvent bien plus pauvre que celui qui le déshabille. Heureusement, toute la gauche n’est pas composée de ceux qui font la charité sur le dos d’autres personnes et certains ont même été des modèles pour moi, comme Michel Rocard, pour ne citer que lui.

« Modèle », diriez-vous? Oui, comme un artiste peintre qui choisit qui se rapproche le plus au personnage de son idéal, comme le chercheur scientifique qui admire le mode de pensée d’un collègue. Un modèle qui n’est pas un moule rigide. Je peux admirer un homme politique, mais je ne suis pas son clone. De même, je peux être majoritairement en désaccord avec quelqu’un, mais je l’écoute à la recherche de parcelle de vérité, que chacun d’entre nous possède des pièces du puzzle de ce qui pourrait être La Vérité.

Hélas, je ne vois pas cette sagesse, cette prudence, chez nombre de défenseurs de cette écologie qui n’a aucune projection pragmatique, sûre, fiable et utile. Ils croient détenir à eux seuls une vérité qu’aucun savant, aucun sage ne possède. Ils prônent une écologie qui ne redécouvre même pas certaines découvertes et certains progrès qui ont été réalisés il y a plus d’un demi-siècle.

C’est précisément pour améliorer notre écologie que j’ai imaginé une monnaie universelle étalonnée sur l'énergie. Un système basé sur la mesure scientifique, précise, honnête, même si les scientifiques aussi ne sont pas à l’abri de l’erreur. Aucun humain ne peut se targuer d’être un dieu omniscient et infaillible.

Dans tout çà, où est la justice, celle à l’intérieur d’une communauté, comme celle qui devrait exister au niveau planétaire? Au lieu de cela combien de fois n’a-t-on pas vu le «deux poids, deux mesures» comme dans diverses sécessions qui régente le monde: Katanga, Québec, Ukraine, Yougoslavie (Serbie, etc.) ? Qui a des bandeaux devant les yeux? Ou devant un œil?

Et comment résister aux fake news, au Wokisme, à l’éternelle propagande de la Statue de la Liberté qui veut nous imposer sa lumière unique?

Par exemple, quand on voit les évangélistes dénoncer les «mes mains coupées» sans dire combien à leur époque la gangrène était la terreur des médecins de brousse. Mais la propagande wookiste s’est propagée comme une gangrène. Et ce n’est pas la seule à se propager ainsi. Quand donc entendrons-nous le cri de Laborit:

Comment espérer qu’un jour l’Homme que nous portons tous en nous puisse se dégager de l’animal que nous portons également si jamais on ne lui dit comment fonctionne cette admirable mécanique que représente son système nerveux?

Comment espérer voir disparaître l’agressivité destructrice, la haine, la violence et la guerre?

N’est-il pas indispensable de lui montrer combien aux yeux de la science peuvent paraître mesquins et ridicules les sentiments qu’on lui a appris à considérer souvent comme les plus nobles sans lui dire que c’est seulement parce qu’ils sont les plus utiles à la conservation des groupes et des classes sociales, alors que l’imagination créatrice, propriété fondamentale et caractéristique de son cerveau, n’est le plus souvent, c’est le moins qu’on puisse dire, absolument pas exigée pour faire un honnête homme et un bon citoyen.

Je défendrai toujours la biodiversité et l’humanodiversité. Et j’opposerai toujours cette dernière aux préjugés qui finalement conduiront notre monde aux rejets, aux conflits… à l’obscurité.

Je ne veux pas que mon combat s’engloutisse avec moi. En espérant que cette petite goutte de colibri, cette petite lumière de luciole apporte encore quelque chose…

À tous mes amis

À tous mes amis éparpillés sur la planète et peut-être déjà disparus et que je n’oublierai jamais. Comme à tous ceux, enseignants, collègues, chefs et camarades, de tous les coins du monde qui ont enrichi mon expérience, mon savoir… À vous tous, même si j’ai perdu les contacts, merci, je vous suis si redevable.

À vous tous, et en particulier mes amis boliviens, je dédie mon dernier roman qui se passe en grande partie chez vous. Malheureusement, je n’ai pas pu le traduire, peut-être, un jour… De toute façon, tous mes romans sont sous licence d’Art Libre ou LAL( en anglais, Free Art License ou FAL), donc tout traducteur bénéficie à 100% de son travail de traduction. On vous demande seulement de déclarer la paternité. He oui, vaine vanité…

Serge Jadot
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