Deux compères sont assis face à face. L’un d’eux saisit un dé à six faces et le tend vers l’autre de telle manière que chacun ne voie qu’un nombre.
— Je tends vers toi ce dé. Que vois-tu?
— Je vois le 1.
— Mais non, c’est le 6 que je vois.
— Oserais-tu dire que je mens?
— En tout cas, tu te trompes!
Le ton monte et attire deux autres compères, de ceux qui ne vous veulent que du bien.
— Vous n’allez pas vous battre pour ça, réprouve le premier? La paix, je vous la propose en effaçant les chiffres.
— Mais non! intervient le second. Au contraire, fusionnons tout! Ainsi, chacun verra le chiffre 7, et ce sera merveilleux.
— Mais, s’exclame l’un des deux premiers compères! Je n’ai peut-être raison qu’à 50%, mais j’y tiens, moi, à mon chiffre. C’est celui que je vois.
— Hum! j’ai peut-être tort à 50%, mais je ne perdrai pas tout ce que je connais.
Ainsi que la dispute passa de deux membres à quatre.
Et la morale de l’histoire? Ben… personne n’a vu que c’était un cube1.
«Puisque les scientifiques l’ont dit, je suis dans la vérité, et donc vous ne pouvez pas me contredire.» Ainsi, en utilisant soit les méthodes dites scientifiques, soit les «formules mathématiques», soit l’avis d’experts «savants» surtout réputés, toute son argumentation impose un certain respect quasi divinisé qui ne tolère aucune contradiction.
Les méthodes scientifiques: «Très souvent, elle engage l’idée implicite de son unicité, tant auprès du grand public que de certains chercheurs, qui de surcroît la confondent parfois avec la méthode hypothético-déductive. L’étude des pratiques des chercheurs révèle cependant une si grande diversité des démarches scientifiques que l’idée d’une unité de la méthode est rendue très problématique. (extrait de Wikipédia.)»
Les formules mathématiques: créer une «formule» donnant un rapport donné (comme le nombre d’or) peut être beaucoup plus simple que de prouver que cette fonction est la résultante d’une réalité vérifiable, reproductible et logiquement explicable.
L’avis des experts: il y a toujours un contre-expert, et le moins écouté se considère comme un Cassandre, à tort ou à raison. En général, l’avis de l’expert va dans le même sens que celui qui le plébiscite. Quant à la réputation d’un savant: on arrive même à faire dire à Einstein ce qu’il n’a jamais dit…
Déjà, il faudrait déjà s’assurer que cette vérité que l’on défend correspond vraiment à la loi scientifique qui sert de bouclier ou de piédestal, en dehors du fait qu’il faut parfois comprendre plus que connaître les domaines d’expertises des scientifiques pour se vanter d’en être un fidèle croyant. Il faut peut-être et surtout se rappeler ce qu’est une loi, un principe, une hypothèse, un postulat, une théorie.
Les lois des sciences sont très peu nombreuses, mais les théories, dont le sens est clairement explicité dans Wikipédia, sont la «voie» du «chercheur». C’est dans la durée que se juge la force d’une théorie, car elle doit pouvoir rester compatible avec les nouveaux faits, résister aux expérimentations qui voudraient en démontrer son invalidité, et assurer la justesse de ses prédictions, sinon, il faut la corriger; voire l’abandonner.
La science n’est pas une vérité en soi, même si c’est sa quête. Elle est composée de nombreuses briques supposées être plus ou moins des bases de vérité. Les chercheurs essaient d’en trouver toujours plus, mais souvent, sous une question enfin éclaircie, ils découvrent une nouvelle énigme imprévue bousculant les acquis.
La science est avant tout une école d’humilité2. Chaque scientifique est aux frontières de ses compétences, il navigue dans la pénombre qui sépare la lumière de l’obscurité. Il essaie d’étendre le jour, pas à pas, en tâtonnant, et lorsqu’un grand pan de nuit vient de s’effondrer il ne peut jamais être sûr qu’il ne va pas ébranler les vérités acquises.
Quoi de plus normal? La science repose sur tant d’inconnues. La nature repose sur l’espace, le temps… que jamais personne n’a pu définir et qui restera sans doute longtemps indéfinissable. Ajoutons-y la vie, puis la conscience parfois assimilée à une âme ou s’interfaçant avec un Dieu, une Gaïa ou l’Univers…
Souvent, parent, enseignant, tuteur… s’abritent derrière une certaine infaillibilité de la Loi afin d’asseoir son autorité. Pour cela, sans mauvaise intention la plupart du temps, il s’abrite derrière une divinité ni religieuse ni scientifique; cette divinité s’appelle tout simplement «On». Il est difficile en effet de s’opposer à «on ne fait pas cela» plutôt qu’à «je n’aime pas que tu fasses cela». Lutter contre «ON» est impossible. N’en déplaise à Pascal qui déclare le «MOI» comme haïssable, le «ON», lui, inhibe et traumatise bien plus la psyché que le «MOI» qui s’assume.
Hubert Reeves aurait dit: Notre civilisation a eu ce défaut de penser qu’on pouvait identifier la vérité en terme de mots, de concepts, de faire des crédos et d’essayer d’y convertir les gens et, au besoin, de les obliger par la force. C’est une lamentable histoire.
On a cru longtemps que la réalité profonde de l’Univers pouvait être enfermée dans quelques mots, c’est ce qui a donné lieu à cette idée de la vérité qui sur ce plan est une pauvre idée dont nous devons nous débarrasser au plus vite.
Il visait les «vérités révélées», religieuses, philosophiques, voire scientifiques. Détenir la vérité pourrait être même insultant pour un dieu anthropomorphe, car ce serait l’abaisser à notre condition d’humains. Imaginons un grand savant essayant d’expliquer, par exemple, l’énergie nucléaire à une vache. Il serait obligé de faire des impasses et des approximations dans le meilleur des cas comme une émoticône qui représenterait un visage. Et cette vache, «illuminée», se sentirait obligée d’éclairer en toute bonne foi ses consœurs. Qu’auraient-elles compris de la physique nucléaire? Sauf que dans cette histoire, les vaches, c’est nous les humains. Quant au grand savant? Pouvons-nous même imaginer ce qu’il représenterait dans cette fable?