L’Univers n’existe que par ses antagonismes: sans force de répulsion, il n’y aurait pas l’expansion de l’univers qui ne serait qu’un immortel trou noir, et sans force d’attraction il n’y aurait pas les soleils, les planètes et la vie dessus. Mieux! ses forces d’attractions et de répulsions sont différentes selon les objets qui les émettent et les subissent. C’est grâce à ces différences que l’Univers existe dans toute sa variété.
Tout ce qui existe, des particules élémentaires aux géants de l’univers en passant par les êtres vivants, dont l’humain et tous ses différents types d'associations, tout, semble en équilibre plus ou moins instable entre des paires de forces antagonistes: un équilibre «instable», tant que cet objet ou cet ensemble d’objets «vit». Car l’équilibre parfait est absence de mouvements, donc d’évolutions… donc de vie.
La vie, c’est d’avancer grâce aux déséquilibres sans jamais tomber dans le vide. Chaque choix «élémentaire» est obligatoirement au moins binaire. Et comme les êtres humains sont des assemblages particulièrement complexes, ces choix et leurs contradictions deviennent extrêmement multiples autour de valeurs moyennes qui définissent les nombreuses facettes de l’humain dans un certain environnement.
Ces contradictions se feront sentir sur tout ce qui meut l’humain, aussi bien la faim que les concepts. Souvent, elles imposeront, même temporairement, d’aller dans une direction plutôt que dans une autre. Par exemple, il devra choisir entre liberté et égalité, deux concepts qui sont incompatibles. Naviguer entre les deux imposera immanquablement de renoncer de temps en temps à l’un ou l’autre. Pour ne pas tomber définitivement d’un côté de la voie, et pour accepter le déséquilibre entre chaque pas, il faut souvent un «amortisseur», le balancier de l’équilibriste, que certains appelleront «fraternité».
Mais que faire, si la crispation fige le funambule au risque de le faire basculer dans le vide?
L’univers est régi par des forces attractives et répulsives. Grosso modo, les unes fabriquent des ensembles, atomes, molécules, planètes, galaxies… les autres permettent de propulser plus loin l’électron libre au sens propre comme au sens figuré.
Du point de vue psychosocial, nous obéissons à ces deux comportements souvent antagonistes: d’une part, agglutiner ce qui nous convient pour ne plus avoir à le conquérir et s’en servir à son gré; et d’autre part, s’éloigner de sa niche pour se risquer dans l’inconnu afin de conquérir d’autres richesses quitte à perdre celle qu’on avait.
On ne peut bâtir ou se réfugier que sur du solide, mais on peut découvrir et créer que si l’on s’aventure.
L’égoïsme est souvent confondu avec l’égocentrisme, mais nous sommes tous égocentriques, avec un germe de domination pour façonner un environnement qui nous convienne. Il ne faut donc pas pointer du doigt l’autre. Connaître ses propres défauts et celui de l’adversaire permet de savoir comment mieux négocier un compromis gagnant-gagnant avant d’en venir aux mains. Nous ne progresserons efficacement que lorsque l’on aura compris comment nous sommes bâtis et comment nous fonctionnons.
L’égoïsme peut se manifester même à travers l’altruisme, car il peut imposer derrière un masque généreux des règles de jeu à autrui pour se préserver lui-même, consciemment ou non. C'est ce que disait H.Laborit quand il écrivait que dans le terme «amour» on pouvait cacher n'importe quoi.
Vouloir le bien des autres pour en profiter, même l’idéologie écologique n’échappe pas à cette manipulation de l’égoïsme qui agira plus par peur subconsciente de son avenir que par compassion pour le reste de la planète. «Vivre et survivre», semble être bien gravé dans nos gènes.
Quelque chose pousse les êtres vivants à protéger le groupe, peut-être parce que dans leur subconscient, dans leur instinct, dans leur animalité, ils savent que leur vie est limitée et que c’est leur groupe qui leur survivra longtemps, le plus longtemps possible. Cela se manifestera par l'altruisme.
Mais l'altruisme ne peut être absolument aveugle, le don de soi ne doit pas nuire, car il faut aussi savoir rester vivant pour pouvoir aider. Le secouriste apprend dans ses premières leçons à ne pas se précipiter pour aider quelqu’un sans s’assurer qu’il y parviendra vivant. Mort, il n’aidera plus personne, blessé, il absorbera des ressources de secours destinées à d’autres.
Il ne faut pas non plus limiter l’égoïsme au matérialisme ou au physique, son domaine s’étend aussi sur le psychique, donc l’affectif, d’où les jalousies possessives par exemple.
Méfions-nous aussi du dilemme «Faire plaisir ou prendre soin». «Faire plaisir», souvent, n’est qu’une façon bien camouflée pour asseoir sa domination sur les membres du groupe en les choyant. Les membres sont satisfaits et donc ne revendiquent rien ou peu. «Prendre soin», très souvent, impose un certain comportement, qui n’est pas toujours apprécié, et qui peut même être désigné comme «liberticide». Alors, que faire?
La croissance semble être un comportement de tout ce qui vit. Des virus qui se propagent, aux animaux qui accroissent leur terrain de chasse ou de pâture, en passant par les racines qui fouillent le sol, tout semble vouloir s’étendre et dominer un territoire.
Dans l’Espace, les objets qui n’ont plus assez d’énergie pour maintenir leur activité ont tendance à s’effondrer, comme s’ils puisaient dans la seule énergie qui leur restait disponible.
Nous oscillons entre ces deux attitudes. Mais la vie est aussi une bonne école qui peut nous enseigner quelles erreurs à éviter et quels choix semblent plus sages.
Si un prédateur est trop gourmand, s’il détruit sa nourriture, il finit par se détruire lui-même.
Si un être vivant consomme trop d’énergie pour s’alimenter, il épuisera trop vite ses réserves, l’obligeant à consommer toujours plus. La Vie découvrira donc de nombreuses méthodes pour s’alimenter en brulant le moins possible ses ressources.
Tout travail physique se fait avec un mélange de «construction» ou de «co-structuration». Or tout travail ne peut se réaliser qu’en puisant dans l’énergie disponible. Le problème est que l’énergie ne fait que se transformer en fonction de l’usage qui lui est demandé. Non seulement elle ne se crée pas, mais en plus sa « qualité » peut se dégrader, la rendant moins utile à certaines opérations. En quelque sorte, c’est comme si l’on en avait perdu.
La croissance et la décroissance sont les deux balanciers d’une société vivante. Négliger l’une pour favoriser parfois exclusivement l’autre engendrera tôt ou tard un déséquilibre difficilement récupérable.
Souvent, on associe le rendement et la quantité qui s’opposent à la qualité. Pourtant, le rendement ne se limite pas à produire vite, donc, sous entendu, beaucoup. Le rendement pour un physicien serait l’utilisation la plus sage et la plus économique de l’énergie.
La «quantité», elle aussi, a son intérêt. Un ensemble de logements, de stockages de produits, etc. gagne en réduisant les surfaces de cloisonnement. Là aussi, «l’union fait la force» améliore la qualité. C’est ce que font les cellules qui composent un organisme, représentant bien ce type d’économie. Chaque cellule, indépendamment de sa fonction spécialisée, est autonome et dispose de ses propres protections; l’organisme, lui, ajoute une protection de surface commune aux ensembles, ce qui est un gain énergétique incontestable.
Ou, faudrait-il plutôt dire: confiance ou défiance? Synergie ou autonomie? Ces paires de mots ont tellement de sens et de nuances…
Une chose est sûre, pour pouvoir créer il faut comme partout un mélange harmonieux de soumission à une discipline qui devrait être plus un tremplin pour s’épanouir individuellement ou ensemble. Certes, sans liberté, il sera difficile, voire impossible, de trouver d’autres dimensions, d’autres espaces pour grandir, mais la contrainte est non seulement utile à la vie en communauté, car elle entraîne l’organisme à être plus fort, plus précis, plus rapide, et elle entraîne la pensée à trouver des solutions pour franchir tous les obstacles, ceux du hasard de la vie.
Et que dire de la Liberté et de l’Égalité qui cumulent en vrac les antagonismes décrits précédemment et bien d’autres qui ne pourraient se résumer en quelques lignes ?
L’égalité ne peut s’obtenir que sous la contrainte, car c’est ce qu’il y a de moins naturel. En effet, l’humain ne peut s’empêcher de vouloir copier ce que l’autre a et pas lui. Spontanément, il va essayer de l’égaliser. Mais une fois l’égalité atteinte, il aura tendance à confirmer cette victoire et à dépasser celui qui le dépassait avant. Et les rôles seront inversés. Faut-il pour cela brider le désir de grandir? Ce serait opposé aux libertés.
Mais, si on laisse la liberté tous azimuts, l’égalité des chances de vivre dans un environnement relativement rassurant risque d’être mal en point. Notre vie d’humain est si complexe qu’elle dépend des échanges avec ses congénères. Cela impose des traités, certes, mais surtout une sorte de loyauté pour ne pas garder la menace au-dessus des membres de l’accord. Cela impose de limiter sa liberté, et logiquement, en échange d’autre chose: en général un bien contribuant d’une manière ou d’une autre au bien être. Il faut donc, accepter de perdre un peu de liberté pour gagner plus ensemble.
Il vaut mieux perdre un peu d’égalité que de subir une égalité aveugle, confondant égalité de respect et identité de comportement régie par des pensées uniques. Un orchestre sera d’autant plus riche en sonorité qu’il est constitué de musiciens maîtrisant des instruments différents, parfois en plus à différent niveau de maîtrise. Rendre tous les musiciens identiques serait comme privilégier la quantité égalisée à la qualité de chaque liberté.
Les deux premières lois de Hôdo sont les facettes de l’égalité et de la liberté: le DEVOIR de respecter les autres et le DROIT à avoir un havre de paix où il est possible d’être soi et qui permet d’aller de l’avant tant qu’on ne viole pas la première loi.
Ce qui est vrai pour les balances gauche/droite, conservateurs/progressistes, libéraux/communistes, unionistes/séparatistes, etc., l’est aussi pour le rapport à la hiérarchie, et donc la balance dictature/anarchie. Dans tous les cas, où les choix peuvent donner des nuances de gris entre le noir et le blanc, il y aura toujours des extrêmes. Et dans tous les cas où ces choix dépendent de très nombreux facteurs, il y aura toujours des valeurs moyennes. Comme les catégories (et non «classes») moyennes se comportent comme des amortisseurs à tout type de changement, il n’est pas rare de voir des dominants vouloir déplacer ce centre vers leur position, même si elle est aux extrêmes.
Si les extrêmes augmentent, ce n’est donc pas un hasard. C’est que les choix dominants sont poussés vers une solution communément acquise, un peu comme le mouvement des dunes déplacées par les vents.
Et d’où vient ce vent qui impose un choix? Les médias et les réseaux sociaux qui surfent sur le «buzz», tout ce qui flatte l’émotion et même sur les «fake news», très souvent en toute bonne foi? Ou bien, est-ce la sempiternelle loi du plus fort? L'union fait la force, crée des majorités, mais plus fort encore est la peur, en jouant sur le chantage, la violence, la terreur…? La peur, l’arme de ceux qui n’ont pas encore la force suffisante pour s’emparer du pouvoir… Ceux-là mêmes qui imposent parfois l’inaccessible unanimité qui engendre plus de tétanies que de synergies.
Les différentes formes de démocraties tentent d’apporter leurs règles, mais elles-mêmes sont installées par le plus fort à leur création. Souvent, en cours de route, elles seront adaptées aux us et coutumes de ceux qui en dépendent. Mais à quel prix? Toujours celui du plus fort! Ainsi va la Nature dont l’humanité fait partie. Mais il ne faut pas oublier qu’il reste une force indomptée: l’intelligence et l’adaptation qui en découle. Les rats ont survécu aux dinosaures probablement parce que leur intelligence les rendait plus aptes à s’adapter aux nouvelles conditions de survie, entre autres, grâce à leurs petites tailles.
L’intérêt du consensus est de faire en sorte que chacun de ses membres gagne obligatoirement plus qu’il ne perd dans la transaction. Comment y parvenir? Le plus simple, sage et neutre est peut-être d’aborder le problème sous l’angle de la théorie des ensembles.
Pour chaque membre du consensus, on pourrait déterminer deux ensembles qui contiendraient respectivement les éléments désirés et ceux qui seraient rejetés. Ces derniers ne peuvent pas être imposables par d’autres membres. En revanche, il ne faut pas les interdire tant que leur usage ne dérange pas le bien-être des autres membres du consensus. C’est en quelque sorte sur ce principe que s’appuie la laïcité.
Le schéma suivant présente en couleur ce modèle: en bleu ciel (cyan), tous les éléments qui concernent l’un des membres du consensus. Ces éléments peuvent être physiques, psychiques, tangibles, abstraits, possédés, enviés… En bref, tout ce qui est enregistré dans le cerveau. À l’intérieur, on représente en rouge tout ce que le membre rejette et en vert tout ce qu’il aimerait posséder.
Ensuite, il faudrait évidemment comparer l’ensemble des envies avec celui des libertés au sens physique du terme, c’est-à-dire des chemins empruntables pour réaliser une action. Cela impliquera automatiquement la détermination de l’ensemble des désirs réalisables et de celui de ceux qui ne le sont pas, en tout cas, sans une aide extérieure. Ces derniers disparaissent dans la zone noire.
À partir de là, il faudra réunir les ensembles d’envies et de faisabilité de chacun pour chercher un consensus. L’ensemble des envies partagées (en vert) va très probablement diminuer et se perdre dans la zone orangée, car ce qui est désiré par l’un peut être rejeté par l’autre. En revanche, la zone de coopération (bleue) s’accroît en offrant la possibilité de réaliser des envies irréalisables en solitaire.
On devine sans peine que plus il y aura de participants pour trouver un consensus, plus cette tâche sera difficile. C’est pour cette raison que le projet Hôdo privilégie la pyramide fonctionnelle construite à partir de petites entités de sept à quinze personnes selon le modèle de Dunbar.